1.Dans chaque maison se perdent les livres que l’on ne range pas par catégories et par ordre alphabétique. C’est pour cela que l’ordre des bibliothèques avec des méthodes obsessionnelles est tant vanté et il reste inégalable. Dans une bibliothèque municipale il n’existe pas de livre de chevet, ni de livre laissé au hasard dans un coin, sauf lorsque on le considère comme prêt à être exclu des étagères et laissé sur une table pour qui veut le réclamer pour l’emporter. C’est un livre remis à (vau) l’eau. C’est un sort plus enviable que le pilon… Aujourd’hui certaines bibliothèques ou médiathèques ( surtout à la campagne) font du déstockage dans les « boîtes à livres » que l’on trouve un peu partout.
2. Perdre un livre est moins grave que perdre un être cher. Perdre le livre d’un être cher est moins grave que perdre le souvenir de sa voix ou de son visage. Perdre la voix d’un être cher est moins grave maintenant qu’on l’enregistre sous toutes sortes de supports audio-visuels. On peut la faire revenir quand on veut, mais on n’a plus accès à ce qu’elle aurait pu dire de nouveau. Perdre la nouveauté du Dire d’un être cher signe irrémédiablement la séparation physique, mais non mentale. Perdre l’usage des mots correspond exactement au moment où l’on perd un être cher.
3.Perdre patience est quelque chose qui arrive à tout un.e chacun.e au contact des autres. Perdre patience est considéré comme une faiblesse de caractère et souvent comme une impolitesse. On admire ceux et celles qui font preuve d’une patience dite infinie. Ils agacent aussi car la patience peut s’ériger comme bouclier des émotions négatives. Perdre patience peut devenir une preuve de sincérité.
4. Perdre pied est une expression que l’on utilise pour dire qu’on ne sent plus le fond de l’eau et que nager devient vital. Perdre pied permet parfois de jouer les Ophélies dans la rivière sans savoir si ça finira bien. Perdre pied se vit à pied d’oeuvre. Advienne que pourra.
5. Perdre la face n’est pas agréable à vivre. Heureusement , ça n’arrive pas tous les quatre matins. C’est l’expérience banale de la vantardise contrariée par la réalité d’un échec.Perdre la face est une expérience Janusienne. Le dire ne garantit pas de savoir faire volte-face ou esquive à temps.
6. Perdre la tête n’arrive que rarement, mais c’est radical. Seuls les canards parviennent à marcher encore un peu cou-coupé. C’est un souvenir de garnements que la mémoire n’a pas effacé. Les filles regardent complètement terrifiées. les garçons se moquent, hautains, vantards leur petite hache dans la main.
7. A tout perdre, on aimerait que ce soit tout d’un coup et sans préavis.Par surprise donc, et pas le temps de cogiter. C’est l’expérience de l’anesthésie générale qui s’en rapproche le mieux. La perte de conscience involontaire est plus traumatisante au réveil que celle qui a été peu ou prou acceptée pour motif médical. Maintenant on endort moins dans les blocs opératoires et la perte de contrôle est moins massive. Mais perdre la sensation d’un membre ou d’une partie du corps endormi est une sensation étrange que la douleur du réveil rend sournoise.
8. Pertes de sang. Les filles et les femmes jeunes doivent s’y soumettre. Certaines l’évitent en devenant anorexiques. Les vieilles femmes en font un signe de malignité matricielle. La perte de sang menstruelle est une expérience dont on parle peu dans la littérature. Certains peintres homme ou femme peignent avec leur sang. On se demande toujours ce que ça peut vouloir signifier. Les pertes de sang dans les guerres sont des ignominies. Pourquoi avez-vous labouré le mal ? Dit-on dans la Bible.
9. Qui perd gagne. Je n’ai jamais compris cette expression. Un bien pour un mal ?
10. Perdre des objets de valeur n’a que la valeur qu’on lui accorde. Sentimentale la plupart du temps. Mais la blessure morale peut déclencher des ouragans de colère. La dépossession brutale est l’un des motifs de mélancolie ou de répression les plus impitoyables. Perdre son sang-froid dans ces moments là peu conduire au crime.
11. A perte de vue , ces gravats dans la Bande de Gaza, d’Ukraine ou d’ailleurs. Comme si le gris poussière des décombres incendiées voulait rivaliser avec le gris des cendres froides d’un feu furieux. La tache rouge ou orange des lambeaux d’habits. Perte de repères, perte de proches, perte d’espoir et perte de confiance en l’humanité. Un.e de perdu.e dix de retrouvé.e.s ? Le décompte est faux, il est mensonger, il se terre dans la honte de pacifistes et la culpabilité des factions qui n’ont pas su empêcher le drame, la perte à perpétuité ? La guerre des drones; la guerre urbaine dématérialisée par les images édulcorées. A perte de vue, on cherche la couleur qui bouge et survit. Sur l’écran on y voit rien. Que des miettes de sinistré.e.s. Perte de sens…
12. Perdre la vie. La belle affaire. Mais ça fait peur, non ? On ne veut pas perdre espoir que ça dure encore un peu… Pouvoir perdre son temps sans y penser ?
https://www.youtube.com/embed/BtVTkaUo4ew?start=6Cet article a été posté dans ###nouvelles, #01, ranger ses livres, #02, histoire de mes librairies, les ateliers Tiers Livre avec les mots-clefs brocante, enfance par Marie-Thérèse Peyrin. Enregistrer le permalien.Modifier
A propos de Marie-Thérèse Peyrin
L’entame des jours, est un chantier d’écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n’avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman… Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J’ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j’ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J’avais l’intuition que le numérique et l ‘écriture sur clavier allaient m’encourager à perfectionner ma pratique et m’ouvrir à des rencontres décisives. Je n’ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu’elles recèlent encore. J’ai commencé à écrire alors que j’exerçais encore mon activité professionnelle à l’hôpital psy. dans une fonction d’encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d’oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu’il ne faut pas « vouloir », le « vouloir pour pouvoir »…
Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n’est pas mon propos. J’ai l’humilité d’affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l’écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d’une trajectoire d’écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un « artisanat » disent certains, et j’aime observer autour de moi ceux et celles qui s’y consacrent, même à retardement. Ecrire c’est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c’est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de « taire »… Soulever l’écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c’est chercher comment le faire encore mieux…
L’entame des jours, c’est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n’est pas sans fondement.
suis rentrée de plain pied dans ta séquence des pertes
et la 2 me touche particulièrement à propos de la voix des disparus (je viens juste de publier justement la proposition #3 autour de ce thème pour ce qui concerne le texte final)
et le 11 A perte de vue est si pertinent… cette douleur qu’on voudrait dire et qui nous ronge
(merci pour ta belle présence)
Merci Françoise pour ton message. Je n’ai pas vraiment pas cherché longtemps les mots pour faire écho à cette consigne car la perte des livres me semble dérisoire par rapport à la perte des êtres. A ma vue, forcément limitée,l’immatériel est bien plus important pour écrire dans la veine centrale de la mémoire, qu’elle soit individuelle ou collective. Sinon c’est du blabla non véritablement incarné. La chair de l’écriture nous est servie trop souvent décongelée, émiettée… et parfois avariée. Les paysages , leurs descriptions « pointillistes », leurs répétitions mortifères , leur manque de couleurs dans les livres ne me fascinent pas. Les lieux sont interchangeables dans la nature et la ville lorsqu’on n’y voit que des décors où la vraie vie s’écoule dans l’impossibilité de retour au paradis fictif et fantasmé qui n’a donc jamais existé, seulement pour les nostalgiques de la vie foetale ou les féru.e.s d’histoire sainte aux multiples légendes édulcorées. On ne perd rien dans les récits fantastiques, on rajoute à des rajouts, à ce qui se rejoue dans les destinées nouvelles, seul le maquillage et le statut social change. Le livre permet de faire des rencontres qu’on ne pourra pas faire dans la vraie vie. Et dans la vraie vie, on passe à côté des êtres qu’on pourrait toucher parce qu’on se montre incapables de réécrire au présent le livre de leur vie. Ecrire est une façon d’aimer, jamais la plus directe et la plus sensuelle. La Nature le sait, c’est pour cela qu’elle n’écrit pas.