#40 jours #03 | Où est Roberto Bolaño?

D’abord, ça se passe au Chili, à Concepción (où Bolaño avait été arrêté en 1973 alors qu’il allait soutenir Allende), dans le quartier de San Pedro de la Paz. Le boulevard Roberto Bolaño, après un coude à 90°, remonte au Nord parallèlement au littoral, à quelques dizaines de mètres de l’Atlantique Sud. Les maisons sont de plain-pied. Les toits peu pentus sont en plaque d’Eternit. Sur Google Earth, trois établissements sont identifiés sur le boulevard, Dravish Tattoo, une pâtisserie Pasteleria Aner, et la pizzeria San Pedro de la Pizza. On n’en verra rien. Google Earth ne va pas jusque-là. Et, sur Google, pas d’images des lieux. Quelques tatouages mis en ligne par le tatoueur, aucune photo du shop. Pour San Pedro de la Pizza, il n’y a pas de pizza entière, juste une part, avec tout de même un avis sur google: « (Traduit par Google) Fortement recommandé ♥️ la pâte et les ingrédients 😋😋 miam miam ». Le site web de Pasteleria Aner n’est plus accessible. On ne verra donc rien de ce qui existe dans ce boulevard Bolaño. Depuis la limite du visible que permet Google, au croisement de la calle Los Sauces et de la calle Ñuble, on peut se projeter sur le quartier qu’une palissade de plaques de béton ceint à l’Ouest, côté océan. Une plaque a été renversée qui permet d’accéder au terrain vague, et d’y déposer un corps si besoin. Aucune voiture n’est stationnée devant les maisons qui n’ont pourtant pas de garage. A l’Est, le quartier est arrêté par la route 160 et une voie ferrée. Un homme passe à vélo, en direction du Boulevard Bolaño qu’on ne verra pas, toujours pas, à moins d’aller sur place. Le boulevard démarre plus loin, au coin. Il suffit de tourner vers l’invisible des vies.

Comme l’a fait Bolaño, il faut traverser l’Atlantique pour retrouver son nom sur un boulevard. Je n’ai pas trouvé d’école Bolaño, pas de stade non plus ni de piscine, pas de bibliothèque, ni de faculté de lettres. Enfin pas de ce Bolaño-là. On trouve une carrer de Roberto Bolaño, à Girone, Espagne. Là, il y a une école, l’école Domeny. Le long de l’école des voitures stationnent. De cette école, je ne dirai rien de plus, sinon, que ce n’est pas une école où j’aurais aimé que soient scolarisées mes filles, d’autant que je n’ai jamais habité Girone.

Finalement, on trouve Roberto Bolaño à Barcelone, carrer dels Tallers, à moins d’un kilomètre de chez le philosophe homosexuel et du poète qui organisent les fameuses fêtes. Google maps indique: Roberto Bolaño Tallers. Lieu de culte à Barcelon, Espagne. Le Lieu où vécu l’écrivain apparaît donc comme lieu de culte. Bolaño est-il un écrivain culte? Là question n’est pas là. La question consiste à décrire ce qui s’y voit. Et là, carrer dels Tallers, où vécu vraiment Bolaño, il y a de quoi raconter, ça grouille, au croisement de deux rues, piétonnes, vivantes, étroites. Au rez-de-chaussée de l’immeuble, il y a un loueur de vélos. Quand on prend l’allée pavée de l’immeuble, sorte de traboule, les vélos sont posés tout le long du mur. À droite, un Condis express. Un homme tient un chien en laisse, à la gauche de la porte d’entrée. Le chien regarde dans la boutique. Sa maîtresse? L’homme dans sa main droite, qu’il tient le long du corps, a une cigarette, à hauteur de la cuisse, ou un pétard. A droite du Condis, une boutique de piercing très étroite devant laquelle une pancarte manuscrite verticalement annonce « PIERCING ». Face au Condis, une boutique est fermée, grille de fer baissée sur laquelle est accolée une pancarte Laborde Marcet, Patrimonio et Inversiones, DISPONIBLE 93 318 36 63. Là, assis en tailleur sur son skate, un jeune homme fait la manche avec une sorte de canne à pèche au bout de laquelle il a accroché une sébille fabriquée avec le cul d’une bouteille d’eau (qu’il ne boit pas visiblement, à ses côtés, deux canettes de bière de 50cl sont ouvertes, une troisième est couchée entre sa valise rouge, à roulettes, dans la poignée de laquelle est roulé un tapis de sol, et le mur). L’homme porte un jean clair et sale, avec de larges revers, des tennis blanches délassées et sales, des gants noirs, un blouson noir, fermé sur un sweat gris à capuche. Il lève un pouce vers la caméra de la google car. Si l’on fait un tour sur soi, à l’un des coins de rue, il y a une papèterie, face à elle, le mur borgne est l’occasion pour les streets artistes de balancer quelques collages. Au-dessus de la papèterie, juste au-dessus, sur le balcon, un drapeau violet est accroché. Au-dessus du drapeau, deux têtes floutées de femmes regardent également la google car qui les a enregistrées en janvier 2022. Sur le drapeau, au-dessus de la devanture de la PapererIa Impremta Llénas, un poing serré pénètre un cercle surmontant une croix, un drapeau qui aurait pu ouvrir la « manifestation de femmes (qui) avait parcouru les rues de Santa Teresa, concrètement depuis l’université jusqu’à la mairie, pour protester contre les assassinats de femmes et l’impunité ».

6 commentaires à propos de “#40 jours #03 | Où est Roberto Bolaño?”

  1. Surtout sans les photos envie d ‘en savoir plus sur ce mystérieux homme

    • C’est moins Roberto Bolaño qu’Archimboldi, le personnage qu’il a créé dans 2666, qui est mystérieux. Mais je n’ai trouvé qu’une salle Archimboldi (à Barcelone aussi), ce qui faisait peu pour l’exercice.

  2. Bonjour Philippe,
    Du désert invisible au fourmillement, une diagonale comme dirait Ugo,

      • oui, j’en ai vu d’autres, une femme, à droite de la librairie aussi, elle ne lève pas le pouce mais fait un signe de la main. Elle est floutée mais elle a l’air de sourire. Ça invite à prendre du temps pour raconter ces vies qui voient passer la google car.
        Le gars qui lève le pouce vers le loueur de vélo n’est pas là sur toutes les images, selon l’angle que l’on prend bien sûr. Ça aussi, ça permet de nourrir le récit, en intégrant le temps, le déplacement d’une image à l’autre

  3. Beau voyage de l’Argentine à l’Espagne, avec quelques détours. Les paysages associés à son nom semble suivre la trajectoire de la vie de Roberto Bolaño, en tout cas de ce que l’on en découvre dans le texte. De l’invisible, de l’ignoré jusqu’au foisonnement de la vie.