Je n’avais pas entendu sonner le réveil. Ni l’appel du muezzin pour la prière du matin. Le chat n’était pas venu réclamer une caresse, sa pâtée. Curieuse sensation d’étrangeté. Il me fallait accepter ce silence, ce vide, me dépêcher. Devant la maison, je ne trouvais pas, m’attendant, mon habituel chauffeur. Pas de taxi en vue. j’allais être en retard. Je devais l’appeler. Pas de tonalité sur mon téléphone. J’allais rater l’avion. Mon retour vers la France serait retardé. Je m’étonnais de ce silence qui m’entourait, m’angoissait. Du marché proche, aucun éclat de voix, de cris. De l’école proche, aucun rire d’enfants, de chansons. Deux passant furtifs comme égarés, sourds à mes questions, muets. La place d’ordinaire grouillante de vie, vide, pas de voitures, de vélos, rien. Et soudain à l’entrée des boulevards, un tank, deux tanks, des soldats, nombreux, extrêmement nombreux, fusils pointés vers moi. M’intimant l’ordre de rentrer dans la maison. Il me fallait obéir, patienter, me savoir retenue ici par une force si grande, improbable, incroyable. Écouter les consignes lancées par les hauts-parleurs. Rabat était en état de siège. Ville bouclée, coupée du monde, aéroport fermé. Il me fallait me terrer. Juste me préparer un café, observer la place envahie par l’armée, entrer dans ce silence et caresser le chat qui se frottait contre mes jambes, apeuré.
Mon sac état bouclé. Boubacar m’attendait pour me conduire à l’aéroport d’Atar en 4X4. Dernier coup d’œil sur la case. Mes chaussures, laissées devant la porte hier soir, avaient disparu. Sale blague. Ma seule paire ! J’avais peur des scorpions. Je ne marcherai pas, pieds nus, dans le sable. Le vent soufflait, il soulevait le sable, le sable m’enveloppait, me retenait, m’interdisait de bouger. J’ai crié. Les enfants du campement sont accourus, ils riaient, m’enfermèrent dans le cercle de leurs corps unis dans une ronde folle. Il aurait fallu que cette ronde je la casse. Impossible. Ils tournaient si vite, leurs pieds faisaient vibrer le sol. Il me fallait accepter leurs rires. Des rires ironiques, méchants, adressés à l’étrangère. Toujours ils me retenaient. Leurs mères s’approchaient. Il me fallait les suivre dans la chambre sombre. Elles n’’étaient pas méchantes, elles faisaient ce qu’on leur avait ordonné de faire. Elles dénouaient mes cheveux, me déshabillaient. Elles me retenaient entre leurs mains comme une poupée qu’elles devaient préparer pour qu’elle soit belle. Elles étaient évasives, ne répondaient pas à mes questions. La cérémonie du mariage devait se dérouler sur l’heure. Je ne pouvais l’éviter. Elles me revêtaient d’une robe d’apparat, de voiles diaphanes. Elles n’étaient pas mauvaises, elles obéissaient. Elles me dirigeaient vers la noce. Je ne pouvais m’échapper. Boubacar avait disparu. Il partait sans moi. Je ne partirai pas. Le sable, les enfants, les femmes m’entouraient. Des chants s’élevaient, ils m’envoûtaient, me retenaient. Il me fallait accepter.
mieux vaut la seconde impossibilité (est ce l’imaginaire ? presque comme dans un rêve)