Comme je l’ai dit, il sanglotait, couché sur le parquet au bout du couloir, sur le ventre, un bras levé au-dessus de lui, l’autre replié sur le côté, comme sa jambe. On ne saura pas d’où venaient les sanglots, ou pas encore. Peut-être que si on trouve un jour le bloc rhodia, on le saura. Lorsque j’ai ouvert la porte, j’ai d’abord entendu les hoquets d’une respiration mêlés à une plainte profonde, animale, comme celle d’un chien qui hurle, à bout de forces. J’ai allumé. C’est là que j’ai vu son corps solide secoué de sanglots, tout au bout du couloir. Je me suis approché, je l’ai pris sous les aisselles pour l’aider à s’agenouiller, puis à se relever. Il ne m’a pas regardé, il s’est laissé guider comme un vieillard qu’il n’était pas encore, jusqu’à sa chambre où je l’ai aidé à s’allonger. Il s’est laissé tomber sur le lit, en travers, les pieds dépassant. Au bout d’un instant, il a cessé de sangloter. Il a regardé devant lui d’un regard perdu, vers le mur où passaient des souvenirs. Le Babs d’abord, qu’il aurait bien aimé voir, depuis le temps. Et sa mère qui lui manquait. Il n’aurait pas cru que ça fasse si mal si longtemps la mort d’une mère. La mort d’un père, il ne sait pas, il n’en a pas eu. Les sanglots ne venaient pas de la mère qui n’a fait que passer sur le mur, dans sa robe noire, les cheveux en chignon. Derrière elle, il y a eu l’oncle auquel il pense souvent. L’oncle ne l’a jamais vu pleurer, ou alors seulement parfois quand il était enfant, pour un genou écorché ou une baffe décochée par la mère. Il a soudain eu envie d’aller voir l’oncle, de prendre la voiture et de rouler jusqu’à Paris, d’y arriver à l’aube, de sonner chez l’oncle avec une baguette et des croissants, de le voir ouvrir la porte et sourire, qu’est-ce que tu fais là?, et la tante, je te sers un café? Puis l’oncle a disparu du mur, comme le Babs, comme la mère. Et Paul est passé, comme il passe toujours, vite fait. Sacré Paul. Il avait cessé de sangloter depuis un moment, quand il s’est endormi. J’étais resté là à le regarder regarder le mur. Comme je l’ai dit, je sais, je me répète mais c’est parce vous vous demandez aussi, des sanglots on ne savait rien.
« le regarder regarder le mur »
dire que certains craignent les répétitions, je ne sais pas si j’aurais osé, mais quelle force cela prend soudain. Bravo
JMG
Merci Jean-Marie