Existe-t-il un décalque de nos vies d’avant ? Chambres, bâtiments, artères depuis longtemps démolis dans des villes dont la forme n’a plus rien à voir avec celle que nos pas connaissaient par cœur – décalques qu’en aiguisant nos sens nous pourrions superposer au présent.
Décalque d’un vide comblé : le raccourci entre les pavillons là où ils ont construit un immeuble de trois étages, un immeuble tout étroit qui obstrue le passage qu’on prenait pour aller acheter le pain, voie sans nom, interstice où l’on se faufilait, gagnant une minute à peine mais une minute précieuse les jours de pluie.
Imbrication 1 : le collège disparu dans le lycée neuf. Trois cubes de béton clair et la cour au bitume fendillé sur le terrain qu’occupe désormais un parallélépipède d’acier mat et de verre bleuté. L’allée piétonne bordée de cerisiers et le parking où les profs garaient leurs R5 se superposant au skate-park.
Imbrication 2 : rue de la Station, le Casino dans le Monoprix. La cafétéria à l’étage et le coin des 33-tours dans les allées rectilignes des rayons actuels. Les tables de quatre heurtant les présentoirs de maquillage. Les piles de plateaux-repas contre les cartables suspendus un jour de septembre où les têtes de gondoles débordent de fournitures.
Décalque d’un vide comblé 2 : la Potsdamerplatz du haut de la tour Daimler. L’horizontale enfrichée que traversait le Magnet-Bahn suspendu, désossé il y a vingt-cinq ans, sa courbe d’acier noir redessinée ce jour depuis le trentième étage de la tour de brique rouge. Garder l’entrée monumentale du métro, ses passants minuscules, et raviver les bourrasques de vent d’est.
Décalque d’un vide comblé 3 : dans la gare en millefeuille les voies se croisent en hauteur. Les plus éloignées du jour, plantées profond dans la terre meuble, sont celles des grandes lignes. Plus on monte, escalator après escalator, plus les trains sont courts, les terminus proches. Par la verrière du quai le plus élevé on voit la neige sur la coupole du Reichstag. À la place de ce montage que traversent les ICE climatisés, l’été 89, les nudistes se promenaient dans les herbes folles.
Votre texte est très suggestif. En vous lisant, vous et d’autres, je comprends mieux cet interstice et les mots pour exprimer la 3 D. Merci.
comme si c’était un 3D de la mémoire, le passé dans les profondeurs du jourd’hui Interessante perspective!