Salle de bain, bureau, salle d’opération, je restais perplexe devant cet alignement d’éléments sombres effaçant toute aspérité, sur ce sol de grandes pierres d’ardoise rectangulaires. Tiroirs, placards tout,avait disparus sous des parois laquées renvoyant en miroir ma silhouette et l’éclat des diodes du plafond. Seule la ligne d’horizon du marbre du plan de travail venait apporter le petit point blanc donnat de la profondeur à ce fondu brun, nu, ascétique. Aucune casserole, ni passoire, ni robot, ni carotte, ni poireaux, aucun repas en cours, ni vapeur ou bruit d’eau. Tout ce qui pouvait s’apparenter à la nourriture était frappée d’un sortilège d’invisibilité. La nature encore vie était toute concentrée sur la machine à café; une tasse blanche réceptionnant un expresso serré provenant des capsules aux couleurs mordorés présentées dans un coffret qui semblait sorti de la vitrine d’un bijoutier; l’éclat renvoyé par une petite cuillère tournant la mousse laiteuse qui vrillait dans sa spirale cosmique le café noir. C’est à ce moment là que j’aperçus le long cou du robinet en inox et l’orchidée penchée devant la fenêtre qui donnait sur la cour intérieure.
Au quatrième l’évier composé d’un seul bac était encombrée de tasses, d’assiettes, de couverts auxquelles venaient se juxtaposer une brosse à dent avec son tube de dentifrice biologique, des pots de confiture empilés pour le tri, une pyramide de boite d’œufs sur des sachets en kraft relissés. Les carrelages à hauteur d’évier, étaient tatouées d’étiquette de vin et de bière au graphisme historié. Une paperole manuscrite rappelle qu’il faut bien fermer le robinet car il fuit. Un pot de verre avait été placé dessous pour en réceptionner les gouttes. D’autres mantras, entre les vignettes. La fenêtre juste à côté de l’évier est presque condamnée par un ficus maigrelet mais malgré tout exponentiel qui se partage le ciel avec un palmier bossu suspendu à une balançoire. Sur le rebord dehors, à côté du cendrier où se consume le reste d’un joint, des papyrus empotés, la vue plein ciel au dessus des toits rouge, des cheminées. La rumeur de la place s’échappe, bruits de couverts des restaurants, rires en cascade et les sifflements circulaires des martinets. Revenons dans la cuisine.Le stricte nécessaire, un petit frigo, une plaque de cuisson au gaz avec la bouteille en dessous à côté des sachets pour le chat car tout l’espace ici se partage avec Osiris. Une accumulation de pots de conserve réceptionnent graines, céréales, riz, café, tisanes, à la manière des apothicaires ou des herboristes. Il est déjà tard, on n’y voit goutte: bien qu’on ait appuyé sur l’interrupteur au dessus de l’évier, la lumière tarde à arriver, l’ampoule à basse tension laisse échapper un brumeux halo. Il faut s’habituer à l’obscurité, naviguer entre les masses et les obstacles sous l’œil transparent du chat.