Elle habitait seule dans la grande maison en face de l’école. Oui, seule survivante, paraît qu’avant, des comme elle, y en avait plein la grande maison d’en face de l’école, ça grouillait disent les anciens. Mais on n’y était pas, aujourd’hui la gardienne des lieux c’est elle. Rien d’un cerbère. Au contraire, il faut trouver la meilleure excuse possible pour avoir à traverser la rue, et, l’espace d’un instant, s’échapper des rituels-de-la-classe-en-train-de-se-faire, traverser, sonner, écouter : petit pas à peine levé, presque étouffé- surement des pantoufles-, elle ouvre, réconfort offert par son visage bienveillant toujours encadré du petit voile gris et blanc et par de la fraise Tagada qu’inévitablement, elle donnera.
C’est un grand oncle, quelque chose comme ça, mais ce qui compte c’est ce bras, un bout de bois, y a même pas de main au bout. Une sorte de capitaine crochet sans crochet. Mais il ne faisait pas peur, il racontait toujours des blagues, l’oncle rigolo sans doigts. Tu crois que quand il est mort, on l’a enterré avec son bras en bois ?
Ce n’est pas une silhouette mais une effluve, un souvenir odorant de tabac blond fondu dans un parfum musqué. Un vrai exotisme quand, à la maison personne ne fume et que l’on ne se parfume que très léger, seulement pour les occasions. Elle passe mais son effluve reste encore longtemps, non n’ouvrez pas la fenêtre, qu’elle stagne encore un peu pour dégager, un temps, l’ambiance aseptisée de la monotonie.