De l’autre côté de la grande route, à deux ou trois kilomètres de là où j’habite, se trouve l’école que je fréquente. A peine la cloche a-t-elle sonné, mes pensées se tournent vers «la maison grise et imposante ». Je vis dans deux univers distincts, l’univers scolaire où je me sens comme un poisson dans l’eau claire et l’univers de ma rue où je dois trouver mon oxygène.
Selon l’humeur et les circonstances j’emprunte tantôt l’itinéraire de retour qui contourne l’école publique – j’y ai fait mes « petites » classes – par la gauche, tantôt celui qui la contourne par la droite. Ce n’est ni le même décor, ni les mêmes personnes qu’on y croise. Dans les deux cas, la banalité et l’absence de danger. On y marche à plusieurs de front, sans crainte des voitures assez rares. Il y a plus de fossés que de trottoirs. Le contournement par la droite a cependant un atout que n’a pas le contournement par la gauche. On y trouve une épicerie. Quand j’ai quelques sous en poche, je m’y arrête pour y acheter tantôt un bâton de Zan, tantôt une boîte de poudre de coco. Au fur et à mesure de ma progression, je sens mon humeur devenir grise dans l’inquiétude de ce que je vais trouver en arrivant dans ma rue. Je traverse la grande route et un trouble me gagne. Deux grandes bâtisses de style opposés montent la garde à l’entrée de ma rue. Celle des P… Et celle des N…. Dans l’une le désordre, les cris et les aboiements, dans l’autre le calme policé de la bourgeoisie. Je ne m’attarde pas et détourne mon regard de l’une et de l’autre. Un peu plus loin, à ma gauche, la maison plus petite et conventionnelle des M… où ma mère fait le ménage. Cette maison a la particularité d’avoir dans le jardin, à l’arrière, une bâtisse en bois, plutôt coquette et bien aménagée dans laquelle vit la grand-mère paternelle. Parfois, je suis invité à jouer avec les enfants de la famille, deux filles et un garçon. Il arrive que la grand-mère s’apitoie sur mon sort et sur l’état de mes chaussures. Un jour de pluie, à ma grande confusion, on me fait appeler pendant la classe et on me remet une paire de bottines rouge en caoutchouc. Cadeau de la grand-mère. Je poursuis mon chemin et aborde les contrées où je m’aventure souvent les jeudis. Un jardin qui semble abandonné offre à la belle saison pommes et cerises en abondance. Avec quelques petits voisins, on se risque parfois à venir en « piquer » mais le propriétaire veille et nous chasse. Dans l’immédiat, il n’y a pas d’hostilité dans l’air. Pourtant, à demie rue, mon anxiété monte d’un cran. Palpable, épaisse et lourde à porter. Ce n’est pas que je pénètre dans une zone de guerre mais c’est celle où les expériences de ma courte vie n’ont pas toutes été agréables. La famille et le voisinage, sources de tracas et souvent de honte. Dans le voisinage immédiat, il y a la grande maison parallélépipédique aux airs de maison encore en chantier. J’y suis presque. J’y entrerais peut-être dans quelques minutes si l’un des trois enfants de la famille est visible de la rue. J’y entrerais à reculons sans doute mais j’y entrerais.
si c’est bien la maison que j’ai en tête d’après la photo Facebook, il y a vraiment la tentation de la méthode Flaubert, révision Echenoz : imprimer le texte, puis effacer le fichier, et tout recopier depuis le tirage mais en ajoutant tous les détails, images et compléments qui reviennent puis… répéter l’opération – pas d’emblée chercher une suite, mais, via la recopie sur plusieurs versions, une par jour, laisser grossir le texte en le reprenant… (pour le blog, ça a moins d’importance que pour la démarche personnelle, mais il suffit de copier/coller la version suivante pour remplacement…)