Hommage à vous qui écrivez, vos enfances et vos objets. Moi qui n'écris toujours pas ce cycle mais qui vous lis, j'ai regroupé ici, tout ce que j'ai pu trouver dans vos textes. Un cut-up beaucoup plus mélangé que ce que j'avais fait pour la proposition 1. Chacun de vous y est, mais vous ne vous retrouverez peut-être pas, tant vos mots parfois s'enchainent avec ceux d'un autre
Il y en eu, enfant, des armoires, des placards, des tiroirs.
On ne sait pas par lequel commencer.
L’armoire fait partie du peuple des objets qui comptent.
Dans le champ de l’enfance, il m’impressionne. Et c’est là la principale affaire entre le buffet et moi.
La pharmacie de Grand-mère aussi, hors de la portée des enfants mais pas avec un tabouret de la cuisine.
Au fond de la chambre de ma sœur – Un coin enfoncé dans le bois,
Étrange meuble terriblement contemporain errant dans mes souvenirs d’enfance. Alors c’est le silence et la poussière, au coin de la pièce, une colonne de papiers épais, un grand panier rempli de couleur et de douceur, tout un trésor de pelotes,
Je n’ai pas souvenir du buffet, mais du piano toujours fermé, avec une partition posée sur un pupitre. Ce gros tiroir orné d’une frise, de rinceaux enroulés dans un sens et dans l’autre, des feuillages, ou des vagues, la poignée formant une sorte de feuille qui se déploie, un rouleau | une lame qui se brise.
La boite à chaussures était la boite à cartes postales. Ou la boite à cartes postales était une boite à chaussures. J’ai une boîte à boutons, j’ai toujours eu une boîte à boutons, je n’imagine pas une maison sans une boîte à boutons et serais bien étonnée que chaque foyer n’ait pas la sienne, indispensable. Mes boites sont pleines, mes boites sont vides, mais elles sont décorées. J’ai découvert quelques boîtes à trésor et je les ai ouvertes par effraction. Je n’ai jamais été déçu.
J’avais vraiment oublié la porte. Et sa serrure à l’ancienne. La grande armoire où nos mains sacrilèges d’adolescence avaient fouillé, en quête de rien
Que contiennent où que recèlent ces tiroirs que l’on ne peut ouvrir sans y être autorisé ?
Tout un capharnaüm d’objets ordinaires, de compagnons d’autrefois, empaquetés avec soin, sérieusement ficelés sous des toiles cirées ou de vieilles couvertures et qui espèrent, silencieux, dans la pénombre
Les boutons, plats, tout lisses, ceux avec deux trous, ceux avec quatre, ceux en boule, les grands et les petits. Tous ces boutons qui attendent, je ne les ai pas volés, je ne sais plus comment ils sont arrivés, d’autres les ont rejoints, trouvés, achetés, récupérés sur les vêtements usés, il reste de la place
Des dessins apparaissaient, rouges sur blanc
Des vêtements pendus, jamais vus sur des corps, sans épaisseur, serrés : leur couleurs grises
La bouteille d’alcool accroupi, ou les boîtes en fer des gâteaux et les paquets de farine à tâtons sur un petit tabouret pour la pâte à tarte
L’objet de verre, cette sorte de bille bizarre
Des jouets sans histoires. Incapables de raconter quoi que ce soit. Des jouets qui roulent, qui peuvent rouler, qui ne font que ça.
Ce tissu liberty que tu as sorti d’un sac en plastique
Tout un tas de casiers brinquebalants proches de l’écroulement pleins d’un fatras d’habits et d’objets
Un peu de désœuvrement, des bravades franchissements transgressions,
La croute du pain, la peau lisse d’une pomme, les bosses d’une ou deux châtaignes, voire même la surface molle et fondante d’un carré de chocolat noir posé à même le contreplaqué du socle.
Le petit savon à la rose, la chaînette dorée, la boîte à thé, le calendrier chinois.
Les lettres qui ravalent leurs mystères, les carnets qui se referment sur l’inconnu, les billets de trains qui ne vont nulle part.
Un vieux réglisse traîne par-là, à l’enfourner dans sa bouche, on avale une ancienne poussière.
Mais, parce qu’ils sont petits, colorés, énigmatiques, ils sont comme des jouets, ils sont aussi désirables. Ils sont même bien plus fascinants que les soldats miniatures en plastique ou les figurines articulées des footballeurs
Remisés sans ordre, jetés sans remords, oubliés avec force. Les affronter est une descente. Dangereuse et attirante à la fois.
Un jour, descendre.
On a déjà nos doigts, nos mains, parfois nos bras, à l’intérieur. On a déjà plongé. La boîte semble sans fond. Nous ne serons pas aujourd’hui Blanche Neige, ni un oiseau, ni la Belle de la Bête. Voir tous ces possibles se répandre sur le sol et de les contempler. Il y a tout ça dans cette boîte. Le ventre sur le coffre, remonter de quoi faire trois petites piles. Assise sur le plancher, les jambes pliées pour éviter sa rugosité, faire tomber et ouvrir ce que la main trouve. Ce que la main extirpe et ce que la main dissimule, agrippe, et repose, ce qu’elle tire à elle et déroule tout ce que le corps attend.
C’est presque vide, le centre de la maison.
On ne met pas la main dedans, on regarde, on demande. La main de ma mère coupant le ruban adhésif, collant mon nom sur chaque morceau. Les mains s’avancent, elles s’avancent et cherchent une prise. Les mains tirent, elles tirent et arrachent le ruban. Les mains glissent, elles glissent et déchirent le doré. Les mains s’agitent, elles s’agitent et tirent pour faire craquer les derniers bouts de scotch. Le scotch résiste elle tire plus fort le papier se déchire : ce bruit
Mes mains ont du mal à trouver prise sur sa surface de moleskine glissante, glacée, fuyante. Je tâtonne. Au relief des billets sous la pulpe des doigts, aux légers craquements des uns glissés sur les autres,
Comment replier le tout dans le tiroir ? Dans quoi on peut bien se fourrer des fois.
Grandir d’un coup en découvrant la cachette des cadeaux de Noël.
Il faut se plier en deux pour l’ouvrir Parfois le tiroir vient tout seul. Parfois il se coince. Tout de travers. On ne l’ouvre qu’à moitié. Il est vraiment très lourd et très chargé. On a peur que de trop l’ouvrir il tombe. On ne l’ouvre pas tous les jours. Au bout des doigts, l’objet de convoitise. Toujours tendue à se casser, parvenir à vaincre la résistance de la clé. Il faut encore tirer, forcer son ouverture. Et le corps étiré reposant sur des pointes de pied, tendues comme la main à l’approche de la clé.
C’était rude. Ça vous écorchait. Mais ça roulait. On voulait faire de nous des durs. À défaire le tri qui s’est fait, à chercher le dissimulé.
Bien sûr, je me glissais sous la table pour y vivre de tumultueuses aventures : escalade, poursuite, grotte, montagne, labyrinthe. Bien sûr, je rampais de chaise en chaise comme autant de ravins à franchir. À main tâtonne religieusement …Comment est-ce possible que cela sente si mauvais au milieu de tissus si doux ?
Il soulève le drap. Il tourne la clef. Il tire la lourde porte. L’eau ruisselle sur son visage. Tout a disparu. L’enfant n’a pas offert à la boîte une histoire qui aurait fait d’elle un coffre
Je n’ouvre pas les tiroirs, ni les armoires, encore moins les albums photos, mais ça peut me rattraper quand même. Je toque en cachette, j’écoute, mais rien n’y remue. Je lorgne, je brûle que tout m’appartienne.
Mais il faut attendre mille ans avant de pouvoir les gagner.
Mais j’ai bien dû exister, prendre des décisions d’enfant, mettre un pied devant l’autre, avoir des amitiés, des inimitiés.
Derrière la double porte de l’armoire d’angle, avoir fait quasi l’inventaire pour cause de tapage, de cahier oublié, de leçon non apprise. Je range son enfance, elle m’a vu naitre. Je range aussi la mienne, dans le silence des témoins amoncelés du temps désormais écoulé
Merci Line pour ce puzzle, mosaïque, patchwork réussi de nos textes qui les fait résonner ensemble.