Michel commence toujours ses journées par ne pas dire bonjour en arrivant au bureau. Puis il pose devant lui une ou deux boites en carton contenant des choses à son nom, qu’il se fait livrer là au lieu de chez lui. Michel fait un travail difficile mais parfois on pense qu’il l’oubli. Il ne se préoccupe pas trop des messages qui s’accumulent, des familles qui désespèrent, des enfants confiés qu’il ne voit jamais, des points synthèse où il n’a rien à dire puisqu’il ne rencontre pas les gens. Michel n’aime pas trop ce qui est compliqué, il n’aime pas se prendre la tête. Il aime arriver tard le matin et partir tôt du travail. Il aime quand la pause déjeuner commence à 11h et qu’il boit un petit coup de rosé. Michel n’aime pas la misère sociale, la souffrance et surtout les immigrés. Michel a des convictions et des chemises à carreaux, de préférence blanches, avec les traits marrons. Michel était déjà un dur quand il était jeune professionnel. La retraite approchant, Michel aime venir le matin, ouvrir ses paquets. Tester son nouveau jouet pistolet thermomètre laser pour prendre la température des murs dans une pièce, et puis décrocher le téléphone pour appeler le service après-vente histoire de pouvoir hurler sur quelqu’un de bon matin.
Un jour Brigitte a regardé la salle du groupe II d’un œil différent. Elle les a vu tous empilés sur des chaises, avec leurs airs de pas y touché, d’enfarinés, de gosses pas bien nés. Elle a vu les filles et leur gentille déficience et les garçons avec toute leur folie. Elle a vu dans leurs yeux qu’elle ne pouvait pas faire quelque chose avec leur souffrance, avec tout ce qui tourne dans leur tête et qui finit par exploser trois fois par jour au moins contre les murs de la salle d’activité. Elle a regardé dehors et s’est rendu compte que tout changeait. Des stagiaires par dizaines, par centaines, par milliers, tous les jours des nouveaux stagiaires. Mathilde est en première année, elle est avec nous pour trois mois. Nadège fait son stage à responsabilité. Boris doit monter un projet. Bertrand passe sa validation d’acquis professionnels. Manon pose beaucoup, beaucoup trop de question. Brigitte s’est rendu compte qu’elle ne pourrait pas en supporter encore un de plus de stagiaire. Elle a regardé son petit groupe avec peut être un petit regret, mais ça on ne le saura jamais. Elle a ramassé son sac en cuir avec tous ces grigris pendus dessus, elle a un peu recoiffé dans le reflet de la vitre son carré auburn et a tourné à l’angle de la bai vitrée, descendu les escaliers jusque sur la pelouse. Elle a salué Franck à la grille et elle est sortie. Elle n’est jamais revenue travailler.
Le petit homme habite au-dessus de la structure. On dit qu’il ne dort jamais. Aux nouveaux qui arrivent, on leur dit ça. Entre la visite des chambres taguées aux fenêtres cassées, des salles d’activité plongées dans le noir aux canapés défoncés, entre la remise de l’emploi du temps où il y a beaucoup trop de fois ton nom dans la même journée, et des clés dont tu devras toi-même deviner quelles chambres elles ouvrent, on dit t’inquiète tu verras, le chef il assure, il est toujours là, même la nuit. Et effectivement. Le petit homme ne quitte pas. Il est là. Le petit homme assure la fin du service de 23h et le début de celui qui prendre à 1h. Entre 1h et 6h il est déjà venu deux fois parce que ça fumait des joints dans les chambres. Et il revient en bourrant sa pipe le matin, pour accueillir celui de 7h. Le petit homme monte dans les étages le matin et se coltine avec toi le réveille de tous les petits vauriens qui dorment tellement bien. Il gueule et s’époumone mais donne l’argent de poche tous les vendredi matin. Son corps est tellement plié qu’on pense qu’en fermant la main on pourrait le froisser et le jeter, mais ça personne n’a jamais essayé. La voix du petit homme redit, s’arrête oublie et répète, s’enfuie. Dans l’enfer de cet endroit-là, le petit homme de papier et sa pipe sont les sauveurs de l’humanité.
portraits sensibles (et moi suis sensible au second pour son accroche ‘(Un jour Brigitte a regardé la salle du groupe II d’un œil différent. Elle les a vu tous empilés sur des chaises, avec leurs airs de pas y touché, d’enfarinés, …)
Merci tardif, Brigitte pour ce passage (que je viens de découvrir) dans ces portraits