La gare de Surgeres est un bâtiment élégant, équipé de grandes portes, d’intérieurs carrelés et de mobilier en bois et l’ensemble est un peu ancien.
L’Autre sur mon épaule me dit : (Tu ne devrais pas écrire des choses comme cela, c’est ridicule, personne ne croit que la gare de Surgere soit élégante).
Stratos : (C’est rassurant le ridicule, on y a ses habitudes).
J’attends un train pour Paris, il devrait arriver à dix-huit heures trente, l’hiver est là, la nuit aussi. Je suis assis sur un banc. Il y a avec moi une jeune maman et son bébé. Nous sommes tous les trois en avance. Personne n’a de téléphone à regarder, alors je lis et la jeune maman regarde son enfant.
L’Autre d’un air moqueur me dit : (Tu ne précises pas ce que tu lis, ça ne doit pas voler bien haut).
Stratos : (Je ne m’en souviens plus, tu te souviens de tout, c’est facile, mais j’ai toujours un livre ou une revue dans les mains quand j’attends dans un lieu public, ça je le sais).
Le banc sur lequel je suis installé est à côté de la porte d’entrée, sur le mur à ma gauche il y a les distributeurs de boissons et de sucreries, en face de moi les portes qui donnent sur le quai et à ma droite les guichets équipés de vitres, il n’y a plus d’employé. Les seuls visages sympathiques sont ceux présents sur les posters collés aux murs, le président de région, un chanteur de variété bientôt en concert dans la ville, un employé S.N.C.F heureux de son sort qui sourit sur une affiche qui vote les mérites de son entreprise.
L’Autre : (menteur, tu ne te souviens plus des affiches, ces affiches-là, comme celles affichées dans n’importe quels lieux publics, tu les regardes sans les voir).
Stratos : (Et alors, le lecteur lui, il comprend, lui aussi il ne lit pas ces saletés d’affiches.)
Le silence dans de grandes pièces vides résonne, chaque petit bruit devient important, le bruit d’une page qui se tourne devient lourd, la toux d’un bébé devient grave.
L’autre : (Tu te prends pour un écrivain, il faut redescendre).
Stratos : (Tu sais ce que je te dis).
Une femme et un homme entrent, elle doit avoir cinquante ans, lui est plus jeune peut-être de trente-cinq-ans. Ils rient, ils parlent fort, chaque mot qu’ils disent résonne dans la gare. Je crois qu’ils aiment cela. On comprend qu’ils viennent de faire un stage pour renforcer la cohésion d’équipe. Ce sont des cadres d’une grande banque, ils repartent dans la région parisienne. La femme est petite, habillée d’un jean et d’un manteau noir, elle est ordinaire, lui il porte un costume et une chemise, mais pas de cravate. La femme insère de la monnaie dans le distributeur de friandises et rien ne se passe, elle dit :
— Ça ne marche pas encore.
Son collègue s’approche, il dit :
— Laisse-moi faire.
Il appuie plusieurs fois sur un bouton métallique, de plus en plus fort. Il abandonne, mais elle, elle veut récupérer sa monnaie, elle :
— Ce n’est pas possible, elle va me rendre mes pièces, puis elle donne un coup de pied dans le bas de la machine.
L’Autre (tu restes assis, tu plonges dans tes pages te mettre à l’abri)
Stratos : (Tu voulais que je protège une machine ? Je n’ai pas de leçons à donner, moi).
Son collègue veut l’aider, alors lui aussi il donne des coups sur le côté de la machine, comme s’il s’agissait d’un flipper :
— Putain, tu vas les cracher les pièces.
Deux hommes entrent dans la gare, un homme à bonnet et un autre grand et chauve, ils rejoignent l’homme et la femme, ils sont collègues, l’un d’eux, celui qui porte un bonnet :
— Qu’est-ce qui se passe ?
La femme crie presque :
— Je veux récupérer mon argent, j’ai rien eu.
Le nouvel arrivé appuie sur un des côtés de la machine, pour soulever deux pieds, mais il n’y arrive pas, alors à trois ils appuient, la machine se soulève un peu, ils la laissent retomber, rien ne se passe, ils recommencent, et encore. Le chauve qui n’a rien dit jusque là :
— Moi aussi ça m’est arrivé, tu n’as aucun moyen, c’est une honte, ce truc.
La femme recommence à donner des coups de pied à la machine, elle crie en même temps. Les trois hommes la regardent, puis ils recommencent à appuyer sur un des côtés de la machine de toute leur force, après plusieurs essais, le distributeur tombe au sol dans un grand bruit métallique. L’homme au bonnet décide d’ouvrir la vitre de la machine, il décroche une poubelle métallique du mur à grand coup de pied, puis il revient avec, il l’utilise pour taper sur la serrure et il donne des coups sur la vitre. La vitre se fend. Il hésite, puis il donne un dernier coup, la vitre de la machine se casse.
L’Autre : (Et là, tu ne bouges pas, tu as peur).
Stratos : (Non, je n’ai pas peur, je suis effaré, comme ébloui, je vois des gens ordinaires se comporter comme des chiens enragés, j’ai l’impression d’assister à une démonstration, comme dans un cours de chimie, vous prenez une machine en panne, quatre individus ordinaires, vous remuez tout ça, et hop, quatre clébards agressifs apparaissent).
Les morceaux de verre tombent à l’intérieur de la machine, la femme s’approche puis avec précaution, elle saisit les friandises accessibles. Elles les distribuent à ses collègues, ils sont contents d’eux, elle s’approche de la jeune maman et lui en propose une, elle refuse, elle vient vers moi et je la refuse aussi.
L’Autre : (Tu n’as pas osé, mais tu en as envie).
Stratos : (Oui, j’en ai envie, mais je ne veux pas être avec eux, je n’aime pas les bandes, les groupes, j’ai toujours l’impression qu’ils abaissent, ils font appel au plus petit dénominateur commun).
Le train arrive, tout le monde va sur le quai, je me retourne pour voir la salle d’attente, j’imagine que la prochaine personne qui entrera se dira qu’une bande de jeunes a tout cassé.
merci, Stratos !
Aïe aïe aïe c’est formidable
Une scène parfaite à monter sur un plateau. Avec un comédien/Stratos ventriloque probablement…
merci
Un texte plein de vie. Très ciné. Te reste à écrire le film avant et après cette scène.
merci
Trop bien Laurent ! Bravo, bon dimanche et bonne friandises que tu n’as pas prises, que tu aurais peut être dû et tu nous les aurait partagées 😉
merci
J’ai tout vu moi aussi. Super texte.
merci