#anthologie #02 | Le couloir

Un vieux domaine du Midi de la France, entre pinèdes, cyprès et vignes. Une entrée discrète, un escalier étroit maçonné, en colimaçon, une porte simple en bois épais. Derrière la porte, on débouche sur un couloir tout en long, perpendiculaire à la porte d’entrée. Des portes de chaque côté s’ouvrent sur cuisine salon chambres. Mais c’est le couloir qui est important. Les murs sont nus, crépis à l’ancienne, rustiques, rugueux au toucher, blanc cassé, d’un blanc passé, délavé par le temps. Haut de plafond. Le sol est pavé de dalles rouges cirées, carreaux larges posés irrégulièrement. Les portes sont en bois foncé, chêne peut-être avec des poignées en cuivre. Deux portes en face, trois portes du côté de l’entrée. A chaque bout du couloir une fenêtre haute traversée par des montants fins en bois, en croisillon. Des fenêtres identiques, empoussiérées, une vers l’est, l’autre vers l’ouest, inondées de lumière du matin au soir. Sous la fenêtre de l’est, un petit garçon, presque un bébé. Il serait debout, immobile, un foulard à la main. Une ombre dodue estompée dans la lumière naissante. Le couloir se serait réveillé, les premiers rayons du soleil l’aurait auréolé de rouge de rose d’orangé, les pavés aurait pris vie, striés, ondulés par l’éclat du jour, les fenêtres auraient étincelé malgré la couche de poussière. Près de la première porte, sous la fenêtre, posé à même le sol, un vase, une bouteille bombée en verre marron foncé, d’où jailliraient des brins d’herbes, des épis blonds, des chardons mauves séchés, un bouquet sauvage illuminé. On entendrait le chant d’une cigale qui se serait égaré. On sentirait le parfum de lavande par une porte ouverte. Et le petit garçon, auréolé de ses boucles noires, agiterait son foulard de soie comme un drapeau et traverserait le couloir rouge de toute sa longueur en riant, en courant, conquérant d’un espace ensorcelé par la lumière.

A propos de Monika Espinasse

Originaire de Vienne en Autriche. Vit en Lozère. A réalisé des traductions. Aime la poésie, les nouvelles, les romans, même les romans policiers. Ecrit depuis longtemps dans le cadre des Ateliers du déluge. Est devenue accro aux ateliers de François Bon. A publié quelques nouvelles et poèmes, un manuscrit attend dans un tiroir. Aime jouer avec les mots, leur musique et l'esprit singulier de la langue française. Depuis peu, une envie de peindre, en particulier la technique des pastels. Récits de voyages pour retenir le temps. A découvert les potentiels du net depuis peu et essaie d’approfondir au fur et à mesure.

4 commentaires à propos de “#anthologie #02 | Le couloir”

  1. Je crois que le couloir a inspiré beaucoup de monde, le vôtre, le mien et d’autres. Merci pour votre texte et sa poésie. Bien à vous.

    • Merci Clarence, pour votre mot, c’est un sujet qui s’est invité très vite, souvenir sensoriel et sentimental d’il y a longtemps, mais toujours présent. Je vois que pour le couloir je ne suis pas la seule…Je vais aller promener un peu chez vous, je suis en retard, le rythme est tellement speed que je n’ai pas trop le temps de lire…
      Amicalement.

  2. Un couloir traversé d’est en ouest si j’ai bien saisi son orientation, que l’on suit derrière le petit garçon qui l’anime de sa course joyeuse, lui enlevant son austérité première. Je suis celle d’un couloir comme le remarque Clarence. Merci Monika.

  3. Merci, Cécile, pour le commentaire. En fait, ce couloir m’avait marquée par sa longueur, par sa sobriété qui était enchantée par la couleur rouge et le flot de lumière qui entrait en permanence, le matin par l’est, la soir par l’ouest. Un couloir qui sert d’habitude d’aller d’un point à un autre devient une rencontre joyeuse…Maintenant je vais aller voir dans votre couloir. Amicalement.