C’est en aout vers la fin de l’été, est-ce important pour l’histoire ? C’est après le 15 : je crois vraiment que c’était le 17 et qu'avant de quitter la maison il y avait eu une inondation dans la cave (partir seule avec deux billets est une chose qui a vraiment existé dans la fiction). C'est en août que c'est arrivé dit-elle. En août les jours ont déjà beaucoup raccourci — il faut dire cette angoisse, ce sentiment de l’été celui de quelque chose qui meurt (une angoisse: la sienne). Un beau film porte le même nom : "Ce sentiment de l’été"... Ça commence à Berlin au début de l'été. Une jeune femme traverse un parc, la chaleur on la ressent dans la lumière, il y a aussi ce grand jet d'eau qui tourne et il propulse la lumière. La jeune femme porte une robe claire: presque de l'air, elle avance, c'est un élan de tout le corps comme danser. Et soudain elle s'effondre. C'est tout. Elle meurt d'un coup dans ce matin qui resplendit. Là ce n'est pas à Berlin — ce sera en Grèce à la fin de l'été. Une nuit et un matin dans Le Pirée. ( est-ce que quelqu'un va mourir?)... c'est le 17 août dans un hôtel du Pirée dont elle a oublié le nom; elle cherche sur un site de réservation. Les noms et les images défilent, elle pense que c'est celui-là, le nom peut-être ou les images, Le Faros II, fera l’affaire . C'est lui qu'elle choisit ce matin sans y croire, dehors il pleut comme janvier, dehors et dedans comme janvier... Elle regarde la chambre spacieuse à lits jumeaux avec un carrelage plutôt rouge sur l'écran, plus tard elle écrira blanc, elle ajoutera le bouquet de fleurs sèche et la bouteille de vin sur le balcon, au Faros II ils offrent des friandises : "Le Faros II est situé à quelques minutes du centre du Pirée, à côté du port. L’hôtel bénéficie d’un accès aux transports en commun. L'établissement propose une réception attentive ouverte 24h/24 et un bar. L'hôtel propose 27 chambres bien aménagées et entièrement équipées. Propres et spacieuses, elles disposent d’une connexion Internet par câble gratuite. Un petit-déjeuner continental est servi quotidiennement dans un établissement partenaire, à seulement 2 minutes à pied. Les couples apprécient particulièrement l'emplacement de cet établissement. Ils lui donnent la note de 8,5 pour un séjour à deux." C’est dans la chambre 22 du Faros II et c'est probablement une autre chambre, d'un autre hôtel, proche lui aussi de l’embarquement. Le petit balcon c'est important et la vue sur la cour avec au loin Le port du Pirée, les lueurs, la musique? si on danse sur un pont? Que la chambre ait été blanche ou rouge est un détail — s’il peut faire basculer l’histoire? La place vide dans l’avion est un fait: le fait qu'elle est partie seule avec les deux billets, le fait d'une île au loin,d'une île Grecque ...
Une vraie clé, pas une carte électronique. Le bruit de la clé quand tu la tournes dans la serrure de cet hôtel de Lusignan ; c’est la pause rituelle — elle aimait couper la route et dormir à l’hôtel—, c’est toi qui mets la clé. Tu as six ans guère plus, tu lui ouvres la porte : « entrez mademoiselle! » (au théâtre on reste demoiselle toute sa vie). Comme jouer à la marchande, et derrière la porte, dans la chambre de Lusignan, le lit mange la pièce. Chambre 22 à l’hôtel du Pirée : « your double room first floor on your right »; je tourne la clé. Carrelage blanc veiné, frais et propre. Murs crépis blancs. Bouquet de fleurs sèches : un pot pourri chimique très épicé qui lève le cœur. Ces fleurs il faut les mettre sur le balcon; le petit balcon et deux chaises, la table pour deux et la bouteille de rouge en cadeau — non pas du Retsina, un rouge local—, avec les deux verres. En bas la cour fissurée. Les containers. La braise des cigarettes… ( moi aussi je fume ). Et loin, devant, la vue sur Le Pirée : l’air marin aux lueurs des grands ferrys, chargé d’essence.… Ici comme ailleurs, la nuit tombe d’un coup : ici, fin août, la nuit tombe avec une heure d’avance elle m’avait dit au téléphone — d’avance sur quoi? Au-dessus du lit quand je me retourne c’est la même vue, Le Pirée, une photographie de jour.
(« Alors tu pars pour le Pire! « , ça nous avait fait rire à l’aéroport : et elle m’a serrée contre elle comme ne jamais se revoir), une grande affiche décolorée — trop de soleil—, les couleurs, c’est ce qui part en premier: ces quelques images imprimées du voyage en Grèce retrouvées au fond d’un carton qui ont passé, les rouges surtout ( tu es toute pâle tu te sens mal ?). À Lusignan le papier à fleurs défraîchi, j’avais vomis dans le lavabo du cabinet de toilette: le mal de la route tu l’as gardé ( j’ai toujours détesté partir… j’ai toujours aimé l’entre deux du voyage, la nuit d’avant et ne jamais rentrer ). Sur le lit de cette chambre qui donne sur Le Pirée tu es nue. C’est en Grèce et c’est un port… c’est ta deuxième fois en Grèce, et dans ce port je suis nue. ( tu as pâlis, viens contre moi… viens). Des lits jumeaux rapprochés avec chacun son couvre lit. Pas d’erreur : Double room, c’est inscrit en gras sur la réservation. Dans la chambre 22 for two tu ne viendras pas ce soir (Tombe la neige Tu ne viendras pas ce soir Tombe la neige Et mon cœur s’habille de noir)… Il ne neige pas sur le Pirée. Quand le Meltem souffle trop fort, les ferrys restent à quai dit-on : « Yes, alone just for one night ». Dans l’avion une place libre me séparait du grec qui mangeait des nuggets : tout le voyage il a mangé, ça et d’autres choses, le plateau repas et d’autre choses… il y avait une place libre entre lui et moi : la tienne. C’est un sacré cadeau que tu me faisais, deux billets pour… : two in one… Avant le décollage dans le haut-parleur un nom grésille avec l’accent, c’est ton nom, je le reconnais. À l’hôtesse je dis : il doit être en route et bloqué quelque part, enfin j’imagine. C’est ce que je lui dis quand elle insiste, elle me regarde : est-ce que tout ça est vrai? C’est la moiteur du Pirée du dix sept août dans la chambre 22, c’est la moiteur du pire et je suis allongée nue sur le couvre lit synthétique du côté droit près de la porte, à présent j’ai le choix : droite ou gauche ce sera sans rideaux et la fenêtre ouverte. Du lit je vois le ciel ( tu es si maigre est-ce que tu vas tu vas mourir? ce n’est pas de ça que je meurs). Sur le couvre lit synthétique je vois le ciel noir orange et mauve : la ville sue. Ce couvre-lit contre ma peau il me dégoute. Il faudrait héler quelqu’un, un marin peut-être, mais il n’y a personne (c’est ton corps ouvert en deux sur le couvre lit synthétique et Il n’y a personne) : tu n’es pas à Gibraltar… Une bouteille pour deux et le sachet de chips sur la petite table du balcon avec deux chaises. Il faudrait héler quelqu’un et boire avec un marin ( j’ai bu avec des marins entre l’Ile et le continent un 27 décembre j’étais avec eux et je buvais). Demain le bateau partira à six heures — boire avec lui — encore un grand morceau de nuit. Demain la traversée durera huit heures. Tu vas sur son Ile de la mer : minérale ( je préfère l’océan ne le dis pas). Je la rejoins sur son Ile dans cette maison à l’écart. La mer partout. Là-bas les étoiles tombent. Comme des mouches, elle m’a dit. Au téléphone je l’avais prévenue que je serai peut-être seule avec deux livres et un bagage cabine : bon anniversaire, j’ai dit aussi… je n’ai pas oublié l’anniversaire. Elle m’a dit je te récupère à Katapola, après ce sera une heure de route.
Ben dis donc Nathalie tu démarres fort, je suis embarquée dans cette histoire double
Superbe. J’ai la tête qui tourne, ce doit être le vin. Merci pour ce moment fort.
Quel subtil tissage.Ces mises à distance prolégomènes nous entraînent avec force dans les illusions du réel. Tellement que nous devenons complices de vos écritures, passagers avec le seul billet de vos mots d’un voyage double et unique à la fois. Merci Nathalie Holt. Forte, très forte.Et ça fonctionne irrésistiblement.Merci.
On y est chambre 22…
indécelable le vrai l’imaginé…
je ne sais pas pourquoi, je pense aux petits chevaux de Tarquinia, ce personnage manquant, on sent que c’est déchirant…
envie de m’installer en face de toi pour partager un verre par exemple avec le sachet de chips… juste pour passer le temps jusqu’au départ (et puis phrase de fin que je trouve excellente)
merci Nat
Ces alterances de JE, ELLE, TU, ces parenthèses qui nous embarquent on ne sait plus trop où, une vraie fausse fiction, un réel imaginaire et un vrai régal ! Merci
J’ai lu la première partie comme un scénario, ou sa préparation, le tissage du réel, de l’invisible et de ce que tu montres, et ces personnages, féminin masculin j’étais un peu perdue ça m’a plus de me perdre et de me retrouver dans ces endroits, ces ambiances, de toucher la moiteur, les textiles synthétiques, de sentir, de boire tes mots.
Catherine, Jean-Luc, Ugo, Françoise, Sylvia, Laure Merci de vos lectures