#01#boost strates

Terres


Ici la terre est rouge. Compacte. Lourde. Une terre de vigne et de cerisiers. Détrempée quand il pleut, serrant la semelle des bottes dans son étreinte. Et dans les pentes, la pluie se déverse en cascade sur cette terre argileuse qui n’arrive pas à retenir l’eau précieuse pour les cultures. Une terre grosse, collante, difficile à travailler, à retourner. Cette terre rouge, lourde, dense qui, dans les mains du potier devient souple, obéissante, suivant les mouvements du tour que les mains actionnent, accélèrent, transcendant cette boue gluante en objet d’art.


En dessous, au bord de la rivière, la terre est légère, faite d’alluvions, sable, boue, gadoue, elle est ocre clair, et plus noire là où les arbres ont laissé tomber leurs feuilles. Une terre de sous-bois, odeur de compost, de débris végétal, de moisissures, de champignons, une terre de saules, de primevères, d’ail des ours. Et le sable, plus proche de l’eau qui coule dans les vagues, qui ruisselle dans les mains, qui laisse filer le temps dans les sabliers. Le sable qui, ailleurs, chante dans les dunes quand elles marchent…


Dans les prés herbues de la vallée, des monticules de terre noire, légère, émergent sur tout le terrain, taupinières maudites par les paysans et les faucheurs qui chassent les taupes par tous les moyens, monticules qui fournissent une terre précieuse pour des jardins potagers. Selon la couleur, l’épaisseur de la couche, la présence de sable, gravier, cailloux, rochers, selon les arbres qui ombragent, conifères aux aiguilles acidifiant le sol ou chênes et tilleuls qui l’adoucissent, fleurs et fruits s’épanouissent différemment. Planter un bulbe, un arbuste, un pieu dans la terre argileuse demande de la force, la terre ne se laisse pas posséder facilement, il faut négocier, amender, ajuster, contourner. Les vers de terre émergent, se tortillent, se renfoncent, aèrent, mangent, digèrent les bouts de bouts de terre, de compost, aide-ménagers des jardiniers.


Et au-dessus, dans la montagne, près des falaises, il y a un bout de terre bleue et blanche, une étendue de marnes qui collent sur les mains, qui collent sous les pieds, qui souillent les vêtements d’une pâte épaisse enfarinée, couche d’une blancheur traître, blanc sale, mais où en creusant on peut trouver des fossiles, souvenirs de la préhistoire, couteaux, escargots, ammonites…


Terre, sol, terrain, glèbe, terroir, champ, glaise, humus, limon, terreau, couche, strate, lit, fond, tombeau, tapis du monde, du gris au brun, du blanc au noir, dureté, tristesse, désespoir, ailleurs allégresse et douceur, loterie du destin.


Bancels = murets érigés par les paysans des Cévennes pour soutenir la terre et créer des terrasses de culture

A propos de Monika Espinasse

Originaire de Vienne en Autriche. Vit en Lozère. A réalisé des traductions. Aime la poésie, les nouvelles, les romans, même les romans policiers. Ecrit depuis longtemps dans le cadre des Ateliers du déluge. Est devenue accro aux ateliers de François Bon. A publié quelques nouvelles et poèmes, un manuscrit attend dans un tiroir. Aime jouer avec les mots, leur musique et l'esprit singulier de la langue française. Depuis peu, une envie de peindre, en particulier la technique des pastels. Récits de voyages pour retenir le temps. A découvert les potentiels du net depuis peu et essaie d’approfondir au fur et à mesure.

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