Il pleut. Après le grand stress hydrique de l’été, il pleut.
Les plantes n’ont pas crié pendant les dix semaines où à l’ombre il faisait 38°. Le figuier a perdu ses feuilles et ses fruits en silence. Le chèvrefeuille qui résistait tous les étés sans arrosage, a desséché les deux tiers de ses feuilles, devenues beige-clair et tombant peu à peu sur le sol. Le chèvrefeuille s’est tu sous les 45° pendant dix semaines alors qu’il se mourait, et rien ne dit que les dernières feuilles vivantes vont survivre. On a fait semblant de croire à un capricorne colonisant le tronc étroit, on a quand même fini par arroser, sachant que c’était peine et réserves d’eau perdues. Alors on a fait semblant de croire à l’immortalité du buisson, celui qui fleurit en janvier et bourdonne alors, encore, d’abeilles sauvages. On avait besoin de croire. Les plantes suffoquaient en silence. La nature ne crie pas quand elle meure.
Chaque matin, avant le feu de la journée, on s’asseyait au centre de la maison, toutes portes et fenêtres ouvertes. On écoutait. Rien. Ni cri végétal, ni cri animal. On guettait. À l’aurore autrefois, les chants d’oiseaux ébouriffés accueillaient le jour, lissant leurs plumes, sortant de la couvée, charmant leur partenaire, se pavanant et faisant une cour virtuose, mêlant piaillements pépiements trilles cascades et roucoulements. La symphonie de printemps du grand hêtre de Giono : disparue. Silence.
On a pensé au confinement, à la grande joie du retour animal, à l’odeur de l’oxygène revenue même à la campagne, à ce nid à hauteur de main au bord de la route, à ces quelques chants enregistrés sans bruit de fond, trille, discours du matin, célébration du soir, on a pensé à l’activité volatile revenue, un peu, un mois, deux mois, qui a repris ensuite le cours de sa disparition.
Une ou deux fois cependant dans l’été, à cette heure du matin, un jacassement de pie, une seule fois un pépiement : on a prié pour ce pépiement, on a prié pour que cet oiseau vive et se reproduise et chante, on a prié pour le souvenir des fracassements de piaillements s’abattant comme des pluies d’orage sur les platanes. Un piou unique, même pas piou-piou, ne comblant pas la colère et le désespoir pour ce grand silence de l’aube.
La nature meurt sans bruit et sans se plaindre, comme un pauvre.
Tout ça semble me raconter les raisons de mon propre déracinement récent de la région sud vers des régions plus tempérées
tout ça touche tellement à cœur, tout ça désespère à un point inimaginable
Et je te lis pleinement, te rejoins dans ce descriptif édifiant
« On a prié pour ce pépiement, on a prié pour que cet oiseau vive et se reproduise et chante, on a prié pour le souvenir des fracassements de piaillements s’abattant comme des pluies d’orage sur les platanes »…
Désormais je sors sous la pluie quand il pleut comme les amérindiens dans les vastes plaines assoiffées…
merci Valérie pour ces lignes magnifiques…
Merci Françoise pour ce partage profond et douloureux ( un partage qui n’est finalement pas si fréquent). Nous partageons donc la bénédiction de la pluie et la joie de l’écriture!