Premier jour du retour sur l’île. Dernier jour d’août : le 31. Sortir la bicyclette et l’antivol à chiffres. Dans un bol sur le buffet de minuscules clés (celles des antivols perdus) rouillent, (ici tout finit par rouiller). Une date anniversaire sert de code. Prendre l’appareil un Canon 550 D et l’objectif fixe, un 50 mm, moins lourd que le zoom. Des objectifs, c’est le plus proche de la vision humaine, dit-on. (voir humain ou voir mouche?) Partir avec l’appareil sans idée de photographie, l’avoir avec soi est une évidence : servira ou pas. En bandoulière, boitier calé dans le dos, enfourcher la Peugeot initialement bleue, écaillée et rouillée… —combien de fois faudra-t-il écrire le mot rouille? Faire le grand tour par les marais, dans la direction de Loix, la piste cyclable derrière le port. Les bicyclettes électriques foisonnent. Pédaler à fond et doubler, la roue vacille sur son axe. Rejoindre l’océan. Traverser la route dans le tournant, là où tout a basculé : l’éboulis de maison sur la gauche. Surgissement de l’inattendu? tu l’avais vu deux mois plus tôt. Une ruine en inscription provisoire. Quelques étagères et de la vaisselle accrochées sur l’air : un semblant de décor. Petit pan de mur carrelé; fenêtre intacte fichée dans l’os de pierre; amas de matériaux et de choses ( ni peluche, ni poupée) : une image de guerre traverse la route à hauteur de tournant. Tenter quelques images? De l’accident garder trace. Reporter ? Documenter? (beauté du désastre). Il faudrait faire une image où chaque détail se détache, où chaque élément du cadre a même valeur, dans une netteté prodigieuse: c’est ça que tu chercherais? Pas hyperréaliste: Net. Avec le sable et la poussière. C’est techniquement impossible avec l’outil dont tu disposes. Avant de repartir tu enregistres ton reflet dans la vitre de cette fenêtre qui tient encore debout: impuissance.
Vent de bout au retour. Rouler. Manger le vent. Balayer du regard. Un leurre d’oiseau plane. Le bleu du saunier et les roses du marais, un tas bâché comme un Christo de sel. La voix rauque d’un oiseau. Des sachets sur une table : self service salin. Ces quelques bâtiments au loin pour interroger l’image rémanente. Rejoindre le port. S’arrêter au pied du calvaire qui regarde du côté des bateaux, se placer de profil à la gauche du calvaire. S’approcher et cadrer en contre plongée, prendre trois photographies couleurs : christ, arbre, ciel. À parts égales. Rien de plus. Heure exacte de la prise de vue:19H15.
La masse sombre du faitage de l’arbre en contre jour, sa grande courbure, qu’entoure un ciel gris (gris moyen), la flèche du calvaire, gris lui aussi mais très clair et piqué de rouille (le profil du christ détourné sur sa droite est à peine visible). Et cette percée de lumière surexposée qui dénote les failles de la prise de vue. Une image couleur et l’impression de gamme de gris : composition élémentaire (Zurbaran. Philippe de Champaigne)… À chaque retour sur l’île, ou presque, une image du calvaire: sous cet angle ou sous un autre. Combien en trente ans de photographies? Combien d’images mentales en soixante deux ans de passages?
Au pied de ce calvaire nous déposions les oiseaux morts dans un panier de pêche. Ce calvaire, lui, le même, impavide sous les couches de peinture mates. Point, ligne, plan. Fixe. Avec quelques ossements d’oiseaux.
Bonjour Nathalie
Très heureux de te retrouver avec un très beau texte qui dit l’impossibilité d’une image et à la fois la possibilité toujours recommencée d’une autre.
Merci !
Merci beaucoup Fil. Heureuse de te retrouver .
Nathalie plaisir de vous retrouver – et si bien
venais tenter de me motiver… ne saurais rien faire de semblable mais je crois que oui si rien ne vient me démotiver demain…
en attendant l’image est là en tête du texte et si bien dans le texte, et puis sous l’égide de Ziurbaràn et Champaigne ça ne peut qu’être beau (à mes yeux)
Merci tellement Brigitte d’être là .
pardon demandé à Zurbaran mes doigts ont de plus en plus de fantaisies
Et pourtant il est là, prêt à partir avec le vent, à se dissoudre en poussière. Magnifique, le texte et l’image !
Merci Héléna c’est bien de se retrouver …
tu dis bien ces lieux qui nous appellent et nous résistent
Merci Caroline, te retrouver aussi.
« …un tas bâché comme un Christo de sel. » Merci Nathalie Holt pour toutes ces collisions subtiles offertes sur les chemins de vos regards en promenade. Merci.
Merci beaucoup Ugo pour le passage.
Quelle incroyable balade
exactement comme « End of August » du guitariste Philip Catherine
la bicyclette à travers les routes closes d’une île
l’errance incarnée dans l’oeil qui fouille le paysage sans s’arrêter, explore en soi, hésite, cette fascinante hésitation, toute l’humanité s’y rend, là, dans ce qui pourrait éclore, conjointement dans l’Attente,
le bien fou de vous lire Nathalie
Merci Françoise d’être passée lire et de me faire découvrir « End of August »