… animée d’une vague prescience : le voyage a déjà commencé, en dépit de l’inexotique (les démarches administratives, douanières, médicales : feuils de surface, décollés sans qu’apparaisse aucun fond), elle est dans un transit domestique qui l’a fait quitter sa chambre pour le canapé du salon, première sortie du sillon qui se répètera en des lieux encore ignorés, ses perceptions nourries de familier (un parfum d’encaustique aux notes sucrées, la modulation aigüe, puis grave, des moteurs, dans la rue) mais passées au fusain nocturne ; elle peine à s’imaginer l’autre pays, irréductible à ces images d’Épinal que son nom a fait naître, México, vite balayées pour leur pauvreté et leur chromo ; y a-t-il cet homme allongé à ses côtés, est-ce un souvenir recomposé, non pas embelli, puisque la disparition de sa grand-mère maternelle, Aline, dont la nouvelle allait tomber le lendemain, empêchait toute fantaisie et creusait une douleur pourtant atténuée par l’excitation du départ, est-il à ses côtés cet homme qui, s’est-on dit, va la rejoindre là-bas, c’est possible ; ses yeux tâtonnent sur le manteau de la cheminée crépi de blanc, discernent le grand plateau de cuivre ouvragé accroché par son père, ou plutôt font coïncider l’image qu’elle en a avec le vague rond qu’une ombre moins dense détoure ; elle ressent l’inconfort de cette nouvelle couche, sous le dais noir du plafond, ressent son corps en partance comme les malles expédiées la veille, elle en voudrait réduire la perception à une vague sentience, oublier la gorge qui se noue, prolonger l’entre-deux nocturne, son corps en repos ramassant sourdement ses forces pour les lancer à l’assaut du jour ; ses yeux accommodent à nouveau le plateau, il n’est plus de cuivre mais de basalte sombre, la face grimaçante aux orbites creusées la dévisage, ses deux bras ouverts ne parviennent pas à toucher les bords du monolithe, les ocarinas d’argile sifflent la langue des colibris, et serpentent autour d’elle les effluves de copal.
J’aime beaucoup ce texte et ce que tu décris du changement subtil des paradigmes olfactifs et visuels dans une certaine brutalité du voyage (changement de décor et de circonstances…);
Merci de ton passage Marie-Thérèse !