Arrivée à la petite pension proche de l’aéroport, rencontre avec la propriétaire qui nous présente notre chambre pour une nuit. Au plafond, plusieurs araignées dodues et velues dorment tranquillement mais qu’on se rassure, elles ne bougent pas et sont inoffensives. On se couche. Alors que mon compagnon de voyage ronfle déjà, moi je me transforme en radar, yeux grands ouverts dans le noir. Je guette. Puis je me résous à les fermer, demain on prend le bateau, faudrait quand même avoir les idées claires. Tout se bouscule, le chalutier prend des allures de monstre marin affrontant une mer déchaînée, et s’il pleuvait et si le courant de Humboldt s’était réchauffé au point où les poissons seraient tous morts, et si une des araignées me tombait dessus, je tire le drap au-dessus de ma tête, illusoire rempart à mes peurs. Cinq jours en mer, escales sur certaines îles de l’archipel des Galápagos, pêche pour se nourrir et nuit sur le chalutier, ça risque d’être dur pour moi qui ai le mal de mer dès que je pose un pied sur un bateau…
Demain, on lève l’ancre au petit matin vers 5 heures, pas d’endroit où dormir cette nuit si ce n’est une couchette-cabine du chalutier. L’air saturé d’effluves de fuel me tient éveillée avec un goût de vomi dans la bouche. Avant d’entrer dans mon sarcophage, j’ai relu quelques lignes du journal de bord de Darwin Le Voyage du Beagle. Il ne s’y montre pas particulièrement enthousiaste, scientifique, un point c’est tout. J’aimerais pensé que tout se passera bien, mais je ne connais aucun des autres passagers, eux qui n’embarqueront que demain ; quant à l’équipage, le capitaine et son second n’ont pas l’air commode, seul le cuisto m’a souri. Quelle idée folle de vouloir marcher dans les pas de Darwin, lui qui a passé cinq semaines aux Galápagos et moi, présomptueuse, qui en cinq jours voudrais refaire son périple, ou au moins voir les îles les plus significatives du point de vue de l’adaptation de la faune et de la flore. N’est-ce pas là qu’il a commencé à élaborer sa théorie ? Les yeux fermés, je repasse la carte des îles, ma détermination chavire. Je veux arriver (je voudrais arriver) à convaincre les autres passagers (et aussi, et surtout le capitaine) de la pertinence de mon itinéraire. Je vois déjà les fous à pattes bleues, les tortues centenaires, les pinsons, les frégates amoureuses, les otaries, les manchots, les cormorans sans ailes. Défilé nocturne de couleurs. Quelques angoisses sourdent bien sur l’état de la mer, annoncée bonne les premiers jours mais avec un (gros) risque de grain les deux derniers. Petit balancement, frottement des bouées contre le quai, léger clapotis du chalutier, au son des basses marines, j’égrène la liste lancinante de « mes » îles, Isabella, Santa Cruz, Fernandina, Santa María, Santa Fe, San Salvador, San Cristobal…
deux départs vers les Galapagos, quelle est la part de l’imaginaire ?
m’y suis coulée malgré le malaise presque cauchemardesque du premier (joli les poisons cuits) et avec l’attente du second (de toute façon le mal de mer : suffit de manger)