Quitter le wagon enfin arrivé en gare et au moment de poser le pied sur le quai ne pas vouloir être là. Soutenir sa valise en cuir d’une main, rassembler les pans de son col de fourrure de l’autre, ressentant pourtant la douceur de ce début d’année 44. Puis avancer vers la sortie, traverser le hall à peine éclairé pensant aux jours à venir comme une traversée hors du temps. Face à la grande porte vitrée, des maisons mitoyennes aux volets fermés, derrière, des conversations, la chaleur d’une soupe de légumes, d’un plat de pommes de terre. Sa culpabilité d’être là, de les avoir laissés, à peine pris dans ses bras. Puis vient l’intersection, la rue filant sur la droite avant le grand platane, quelques marches glissantes, se retenir à la rampe glaciale. Reprendre son souffle face au tract placardé contre un mur aveugle appelant au service obligatoire du travail. Relire le tracé noté sur une feuille de papier quadrillé, et vite le glisser dans la poche avant de croiser un passant. À cause de la honte d’être seule dans les rues à la nuit tombée. La honte et l’inquiétude des trois semaines à venir. Compter les pas. Les intersections. Le temps restant à respirer l’air de la ville. L’arrivée devant la maison de correction aux murs crénelé, à la haute porte pleine. Frapper ? Comme le cœur dans sa poitrine ?
Texte touchant.
J’aime lire, imaginer ce qu’il se passe à l’intérieur des maisons, comme vous : « des maisons mitoyennes aux volets fermés, derrière, des conversations, la chaleur d’une soupe de légumes, d’un plat de pommes de terre. »
Et cette phrase : « Compter… Le temps restant à respirer l’air de la ville »
Merci.