Dire porte c’est dire ouvrir la fermer pousser tirer repousser tenir entrebâiller mettre le pied dans et tant d’autres façons d’utiliser la porte alors que ce qu’on veut c’est entrer dans l’immeuble deux étages qui campe sur le boulevard. Idem pour l’escalier, monter descendre sauter à cloche pied dans, et la rampe, tenir glisser sur s’accrocher à, et la porte à nouveau, et la clé, introduire la clé dans la serrure, la tourner dans la retirer de. Enfin j’y suis.
S’éviter ainsi la description du hall d’entrée, de la cage d’escalier. Se trouver, encore il va falloir dire, dans le couloir du Cabinet. Plutôt alors dessiner sur papier le plan du Cabinet. Deux couloirs en L. Sur le grand côté du L, fermer les quatre portes à droite (se dispenser de dessiner les portes) des quatre bureaux. A gauche, la cuisine. Sur le petit côté, à droite un bureau, au fond la photocopieuse. Au fond, une fenêtre. L’ouvrir sur le papier. Laisser entrer l’été toute l’année. Peindre le vert des platanes sur le boulevard. Prendre la palette, les couleurs les pinceaux l’eau. Laisser gondoler la feuille sous un vert aquarelle.
S’avancer dans le couloir aux quatre bureaux. Saluer discrètement les deux secrétaires. Valérie et Pascale. S’affliger qu’elles partagent une minuscule pièce, mais une fenêtre, l’ouvrir et là encore les arbres. Se jurer qu’aujourd’hui on en parle au patron. Refuser la maltraitance banale, se jurer d’exiger qu’il cède son bureau, très grand pour lui tout seul. Mais les clients, Chantal, mais les clients.
Comprendre savoir avant de dire de s’emballer de se fâcher que la taille d’un bureau ne se calcule pas en mètres carrés. Accepter que le confort l’aisance la respiration (deux fenêtres et l’ombrage) aient un prix une valeur monnayable. S’en indigner un peu, sans faire de bruit. Abandonner cette lutte, laisser tomber Valérie et Pascale. Voir qu’elles-mêmes ne revendiquent rien. Le regretter. Se traiter tout de même de lâche et les penser soumises. Et après ? Rejoindre le bureau sur le petit côté. Constater qu’il est aussi grand (peut-être plus) que celui du patron. C’est le mien. S’assoir derrière le bureau. Commencer la journée. S’avouer que le monde est imparfait. Se convaincre qu’on y peut quelque chose. Vouloir encore le changer. Oublier qu’on sort à l’instant d’une défaite. Ne plus battre sa coulpe et laisser s’envoler les idées par la fenêtre ouverte. Admirer simplement le vert feuille des platanes. Et se mettre au travail. Aider à soulager écouter dénouer offrir l’espoir rassembler partager l’enthousiasme se lamenter ensemble se secouer les puces conclure discuter pérorer démonter les machinations dénicher les solutions perdre parfois gagner le plus souvent combattre combattre y croire vainement. C’est mon métier.