C’est la résonance qui m’inquiète, tous ces bruits de portes et de serrures, et ce silence entre, on ne sait jamais d’où cela provient, cela donne froid, et le bourdonnement, c’est le traitement de l’air je crois. Chaque couloir ressemble à l’autre couloir, il brille, il sent le propre, et il y a les double portes, quelquefois une personne passe vous dépasse et disparait. Au fond de celui-ci il y a un bureau, un espace civilisé, une dame en blanc sort de cette porte et disparaît. Lui me double et il tourne, la grande pièce, celle ou on mange, j’entends des gens, une personne plutôt , je comprends pas ce qu’elle dit. Ça c’est électrique, le bruit est plus fort, c’est la porte, celle avec la grande bande. Un couloir, une porte: salle d’audience.
Mr G. Bonjour, je suis la juge; je suis chargée de vérifier la procédure d’hospitalisation, pour …….il y a un risque. Je voudrais ajouter, j’espère qu’elle va bien la personne que j’ai agressé. Vous pouvez me rappeler pourquoi vous êtes ici. J‘ai mis un coup de poing à un mec et après je suis parti, c’est pas un meurtre , comportement hétérodoxie agressive, ça veut dire quoi hétérodoxie… Le médecin préconise de continuer le traitement, qu’en pensez vous? Moi je veux pas, je veux retourner chez moi, pour commencer dans un bon esprit, trouver du travail et finir mon contrat . Vous, maître des observations? Pas d’observations sur la forme, sur le fond, j’appuie la demande de Mr G… Je voulais les aider, et ils m’ont envoyé valdinguer. Ce n’était peut-être pas utile de les frapper. Non mais je reconnais que j’ai eu tort. Signé ici, gardez la copie, vous pouvez y aller, mais là je sors? Non vous rester.
Il dodeline d’avant en arrière, le ventre en avant , il dodeline, elle entre ça va?
Bonsoir madame prenez place.Vous êtes né à …Vous habité à ….Vous êtes célibataire.. Qu’est-ce que vous faites dans la vie? Je travaille chez O.. Le jour de votre arrivée vous n’alliez pas bien.Ils ont voulu montrer qu’il étaient tellement gentil, ils ont jugé que j’allais passer à l’acte. Suite à ce qui c’était passé le matin même. Il c’est passé quoi. C’est avec mon manager et puis les autres… Comment se passe votre séjour ici. A mon arrivée j’étais attachée. C’était un avis médical. Autour de moi, ils étaient douze, douze. Il faut du monde pour mettre en contention quelqu’un. J’étais pas agité. J’étais venu en Octobre, c’était le festival. J’adore y aller, c’était un samedi, j’avais pris mon appareil, je vais me calmer, parce que la les larmes. Ça va aller. Mais la au lieu d’aller la-bas, je me suis dit il faut aller aux urgences. Y a pas de mal. Maître? Le médecin parle de syndrome de persécution, aliénation, la violence au travail est médicalement interprétée. Je suis une plaie ouverte. J’autorise la continuité des soins. Merci.
Un lit, les sangles, défaites, vides, elles attendent, une chanson d’été, tape, tape, tape dans tes mains. Le couloir, le mur avec les cartes postales de la corse.
Je suis le juge des libertés, alors je vous rappelle pourquoi vous êtes ici. Oui je me rappelle, parce que. Je vous explique, et après ce sera votre tour d’accord. Merci votre honneur. Non pas de votre honneur c’est pas la peine, dites madame le juge ça suffit. Oui madame le juge, oui madame le juge. Alors vous êtes hospitalisé sous contrainte depuis un petit moins de douze jours. Depuis le premier décembre, je montre mon bracelet en plastique blanc, celui de l’hôpital. La loi fait obligation au juge de rencontrer toutes les personnes qui sont hospitalisées sous contrainte depuis un peu de moins de douze jours, bon. Est-ce que vous avez l’impression que ça vous fait du bien d’être là? Je ne suis pas à ma place, je veux ma liberté. Est-ce que vous pensez que vous avez besoin d’être soigné? J’en besoin, mais d’habitude ça se passe au CMP à côté de Perrache. Donc vous pensez que vous pouvez être soigné au CMP ? Oui pas à l’hôpital. Il peut me faire une injection de repidam en cinquante milligrammes, c’est la dose la plus élevée. Bon, donc vous êtes d’accord pour être soigné, mais pour être soigné chez vous avec des rendez-vous comme au CMP. Je m’excuse car j’ai un cheveu sur la langue. Je vous comprends bien. Je pourrais faire des cours d’orthophonie, mais qu’est-ce que je m’en fous, y-en-a qui sont muet. Très bien je vous remercie. Je vais laisser la parole à votre avocat. Merci votre honneur. Je vous remercie madame le juge, oui mon client conteste la mesure de contrainte, il estime qu’il peut prendre des soins lui même, il souhaite sortir du cadre de la contrainte et avoir des soins ambulatoire et libres, il a également émis le souhait qu’une expertise médicale soit éventuellement prononcé, sinon fin de l’hospitalisation sous contraintes pour un séjour libre avec des soins médicaux. Si, pas par un simple psychiatre, mais par un professeur de psychiatrie, avec une expert psychologue. Très bien. Mais je sais que ça risque de durer des semaines et des semaines, alors qu’en ce moment il y la fête de la lumière. Bon, maintenant écoutez moi. Regardé ce qu’on m’a fait à l’hôpital, attaché, regardé, je vois, zoomez, zoomez s’il vous plaît. Bon je vous explique ma position, vous m’écoutez? Oui madame. Bon alors, moi je ne suis pas médecin. Oui. Et je ne suis pas chargé de l’être. Oui. Et les certificats médicaux expliquent bien que vous avez encore besoin d’être hospitalisé sous contraintes. C’est un abus de pouvoir, je m’adresserai au ministère de la justice et de la santé. Écoutez moi jusqu’à la fin, après vous aurez des droits et je vais vous les expliquer. Donc moi dans la mesure ou les certificats. Je m’en doutais. Sont réguliers. Je m’en doutais. Je rends une décision qui autorise les médecins à poursuivre cette hospitalisation sous contrainte. Vous inquiétez pas je vais m’adresser. Et j’estime qu’il n’y a pas besoin d’expertise. Donc je rends cette décision, mais sachez que vous pouvez en faire appel et que vous avez dix jours pour le faire. Vous pouvez le faire le plus rapidement possible. Via le directeur de l’hôpital. Dix jours encore, c’est vraiment un abus de pouvoir et ils appellent le pays des droits de l’homme. Alors les certificats médicaux émanant de médecins différents, vous avez rencontré plusieurs médecins qui disent tous la même chose. Tous du même hôpital pourquoi vous ne m’emmenez pas une personne en dehors de l’hôpital. Elles ne sont pas toutes du même hôpital d’abord et la loi n’exige pas forcément que ce soit des médecins qui soient d’hôpitaux extérieurs. Mais entre confrères, ils s’appellent cher ami, confrères, c’est tous des crapules. Et le médecin du CMP ça va mieux avec lui? Monsieur D…, c’est un homme droit malgré qu’il est dur. En tout cas pour aujourd’hui c’est trop tôt voilà. J’en étais sûr. C’est trop tôt. Voyez qu’est ce que je vous avais dit, ils abusent de leur pouvoir. Encore une fois, vous pouvez faire appel de la décision, vous n’êtes pas démuni. Voilà ça c’est pour vous monsieur, et il y a un petit paragraphe qui explique comment on fait appel, voilà vous pouvez disposé monsieur, bonne journée. Merci de votre abus de pouvoir.
Codicille: Je voulais voir depuis longtemps le film de Raymond Depardon: Douze jours. Je me suis installé mon portable sur moi, et le film qui passait sur mon grand écran. J'ai mis mon chrono.Je ne pouvais pas tout capter à la vitesse du film, au début donc je saute des passages des répliques, mais la parole de ces personnes méritaient mieux que cela. Alors j'ai ralenti, j'ai mis sur pause, j'ai noté tout ce qui me semblait important pendant cette heure, ces quinze premières minutes relevée , après j'ai bien sûr fait des reprises. Chaque film de Depardon pourrait devenir un grand livre, il y a dans ces films une humanité qui déborde, des fois il y en trop.
Étonnant résultat, fascinant, et cette ouverture, » tous ces bruits de portes et de serrures, et ce silence entre, » l’indétermination, le silence est-il entre les portes et les serrures, ou entre-t-il par ces portes ? , silence ensuite reverbéré par l’incompréhension entre toutes ces paroles.
Merci
J’ai reconnu le documentaire instantanément. Votre retranscription lacunaire offre un point de vue intéressant. Il est difficile d’entrer dans un tel « huis-clos », j’emploie ce terme à dessein. La réalité précède la fiction et celle-ci n’est guère utilisable et vous l’avez pointé :
Chaque film de Depardon pourrait devenir un grand livre, il y a dans ces films une humanité qui déborde, des fois il y en trop.On peut regarder un tel film sans avoir jamais mis les pieds dans un hôpital psychiatrique ou au contraire le connaître suffisamment pour pouvoir commenter les images. Le gros scandale de ces protocoles d’admission pour les soins sous contrainte qui ne concernent qu’une infime partie des patient.e.s est de nous rappeler notre rapport à la folie et notre déni des conditions dans lesquelles on traite les conséquences de son irruption dans la communauté. Il n’y aura jamais assez de films pour en parler avec objectivité et bientraitance. Le film de DEPARDON a le mérite de mettre les pieds dans le plat et vous de vous en servir pour montrer qu’on peut décider en 60 minutes du sort de plusieurs personnes qui devront signer le document prouvant leur passage devant le juge des libertés. Paradoxalement , ce dispositif est un progrès puisqu’il limite la toute-puissance médicale sur la décision ou la prolongation d’hospitalisation grâce à des certificats qui doivent être fournis et réellement commentés aux intéressé.e.s et donne un recours légal pour ces personnes pour contester la décision. Etant donné l’implication des préfets dans ces procédures, on a vite vu la collusion entre pouvoir médical et le pouvoir administratif pour éviter les « accidents » de sortie prématurée très relayés dans la presse, et d’autre part la contradiction à vouloir obtenir une alliance thérapeutique ( le consentement éclairé aux soins) avec une détention de fait. Il s’agit surtout de protéger la société et d’éviter les procès pour non assistance à personne en danger ( suicidaire notamment). Beaucoup de patient.e.s sont laissé.e.s sans soin à l’extérieur s’ils ne peuvent pas réclamer eux-mêmes de l’aide et les prisons en sont remplis. Il faut relire Michel Foucault, les désaliénistes, et plus récemment ceux qui ont théorisé sur ces questions de respect des droits individuels en cas de privation de liberté pour comprendre toute l’ambiguité de ces situations. Beaucoup à dire bien évidemment sur le cadre législatif et politique dans ce secteur sensible. Si c’est possible, merci de nous dire comment vous avez rencontré ce film. Peut-être auriez-vous pu traiter le sujet en commentant au fur et à mesure votre propre réaction de narrateur. Merci pour votre proposition.
Merci beaucoup Marie-Thérèse pour ce retour et toutes ces informations, tu m’apprends énormément.
Je te tutoie et j’espère que tu feras pareil, le « vous » me tétanise un peu.
Comment j’ai rencontré ce film? Je suis Depardon depuis très longtemps.
Commentez mes réactions de narrateur? Non, commenter c’est prendre une place, c’est collé son « moi » sur l’image vu. Ces gens là (juges et patients) ne mérite pas cela et ce n’était pas la consigne, on devait être « un objectif », dans mon cas je devenu micro. Mais j’ai voulu respecter la consigne, c’est-à -dire, face au film, relevé ce qu’il était possible en heure de temps, sans préparation, c’est-à-dire qu’il y est la spontanéité d’une heure de ma vie.
Je me suis fait deux remarques en faisant cet exercice:
1/ les gens parlent beaucoup mieux dans la vie que dans les livres, ça questionne mon rapport au support, et la vision de la parole des autres que l’on diffuse.
2/ En passant du son au texte (mon relevé est assez précis), il y a pourtant création de fiction, y compris dans le dernier entretien, ou il n’y a que les mots dits.
Je tutoie en général les enfants, les papillons et les gens qui le réclament, mais ce n’est pas toujours une règle que je perpétue dans des circonstances nouvelles. Il m’arrive de tutoyer pour apprivoiser. Le tutoiement est d’un usage complexe, il n’existe pas dans certaines langues et j’aime pourtant qu’il y ait des nuances et des graduations dans la distance qu’on croit mettre dans nos relations aux autres. Avec le virtuel, ça semble moins ardu mais je crois que c’est le contraire. C’est un sujet de réflexion pour moi. Dans les hôpitaux psy aujourd’hui, on vouvoie les gens, ce n’était pas le cas à l’époque où les personnes se retrouvaient enfermées au long cours , les soignant.e.s étaient « parentalisé.e.s, les malades infantilisé.e.s… parfois à vie, ce qui n’est plus le cas de manière caricaturale ( on vient de là et ce n’est pas si lointain – c’est un peu le lot des lieux d’enfermement où la dépendance et la régression sont pratiquement imposées…).
Je partage tout à fait ta remarque : » les gens parlent beaucoup mieux dans la vie que dans les livres, ça questionne mon rapport au support, et la vision de la parole des autres que l’on diffuse. » ,et l’une des hypothèses explicatives que je suggère est que généralement, les institutions, les thérapeutes, les politiques, ont pris l’habitude de parler à leur place dans les livres et les tribunes , ce sont des porte-parole plus ou moins dévoués, scrupuleux, respectueux… La nouvelle donne est que désormais les patient.e.s dont nous sommes, parlent, écrivent, parfois sans filtre et n’ont plus peur de montrer qu’ils existent avec leurs singularité même dérangeante.
Bravo encore pour avoir choisi ce sujet et avoir accepté de t’immerger dans ce qui rend plus humain et plus vulnérable à la détresse ordinaire aussi.
Disons que je suis un enfant papillon à apprivoiser, larve et chrysalide ( en chacun de nous il y une larve et une chrysalide, l’enfant qu’on a été et tous ces possibles de l’adolescent qu’on aurait pu être). Merci pour tes retours.
Bel exercice ! On se rend compte que même avec la médiation du film, en plus écouté au ralenti, il est difficile de saisir la densité de ce qui se dit en vrai dans la vie courante. Bel exercice pour apprendre à saisir la vraie langue des autres, plus élaborée, tu le soulignes.
Il me semble me souvenir que c’est un exercice demandé en creative writing ( je ne sais plus où je l’ai lu), un exercice d’observation attentive qui permet de coller au réel dans la fiction ; et souvent le réel est bien plus riche que la fiction.
merci Danièle. La vraie langue des autres, elle est plus élaborée aussi à cause du contexte, ces moments notés, sont des auditions filmées, et la solennité du moment et la présence de la caméra participe aussi un peu je pense à la qualité des propos, ce qui est certains c’est qu’on ne parle pas de la même façon selon les circonstances, et donc la tâche de l’écrivain est encore plus complexe.
J’ai pensé un moment prendre le même chemin … une heure avec un film.
C’est formidable de trouver ici le projet pleinement réalisé. Le jeu espaces /paroles ; sans autre interférence que le choix des arrêts,
des relevés, des coupes ( montage dans le montage ) Merci .
Merci pour ce retour.