#01 bis #Annie Dillard | en vrac

Est-ce qu’il y a un jour comme une naissance ; l’enfant qu’on tire de soi cette boule de vie qui te dévore et te grandit. Un lieu une date? Ce jour-là la chambre sous le toit et il pleut ou bien le jardin les grands arbres, tu t’es abritée sous l’appentis avec le carnet à dos rouge, tu portes le même nom, tu as dix-sept ans. Ou bien c’est quelques années en amont: tu l’as écrite ta rédac ? ou la revue de poésie à quatre mains entre cousins; ou ce début de roman de cour d’école avec une grande thèse de colère à écrire à plusieurs; ou … Ça aurait commencé par le feu des lettres amoureuses : épistolaire? C’est dans l’éloignement. Contre la séparation. C’est au cours d’un voyage dans l’inconnu d’un paysage? Ça commence pour rejoindre : Oui je t’écrirai. Décrire dire cette ville. Te dire la lumière au cutter dans la chambre de cette ville étrangère, la jouissance de cette chaleur : je t’écris que je suis nue, je t’écris le bruit lent de la rue et cette main qui m’a tendu un pain et souriait, ou la tête sur l’étal du boucher une chèvre aux yeux secs : je t’écris. J’ai dix-huit ans et ce corps amoureux : Duras Racine. C’est la torpeur d’une ville. Loin. Je t’écris, je le crois. Je crois que je t’écris. Je ne peux pas ne pas (t’)écrire sur ses feuilles volées au cahier où tout à l’heure je dessinais Laure endormie: la blondeur de Laure comme si morte. (Je crois que l’aquarelle ne peut pas dire Laure allongée sur le sol de carreaux qui cherche la fraicheur à peine recouverte d’un drap comme si morte). Comme. Ma lettre bute sur les mots. Ma lettre cherche les mots; elle bute et j’aime sa résistance. Je t’écris; chaque jour il faut que je croie que je t’écris: j’écris. Lettres. Cartes. Et ce jour-là, ou l’autre : l’écriture, c’est diffus, est là devant moi qui me parle. C’est ténu. L’écriture est là. Elle te cache. Je ne t’écris plus. C’est un commencement. J’écris. C’est là dans les lettres que je t’écris : un commencement. Ça avait déjà commencé: après avoir lu tel passage de ce livre et vouloir aussitôt faire comme, en urgence : écrire mimétique. Ça re-commencerait au long du travail scénographique l’impératif des textes, des micros fictions pour que l’écriture ouvre plus grand l’espace du jeu… Aujourd’hui Laure est morte trop tôt et il y a ce bateau coulé dans la mer grecque et les corps jetés à la mer: que peuvent les mots? Ça commence ce jour-là avec la mort l’écriture contre le désastre. L’écriture comme. Ou la joie ?  

A propos de Nathalie Holt

voilà ! ou pas

7 commentaires à propos de “#01 bis #Annie Dillard | en vrac”

  1. Quelle fluide beauté vos mots, profonds, émouvants, scalpels, d’une lointaine mémoire au présent tragique.
    « Te dire la lumière au cutter dans la chambre de cette ville étrangère ».
    Votre titre est mensonger Nathalie Holt. Je ne sais pas ce que peuvent les mots. Mais ce dont je suis certain, c’est que les mots jetés en vrac ne livrent pas les émotions que vous délivrez. Merci Nathalie Holt de ce mentir-vrai en vrac.

  2. Ecrire pour rejoindre « contre la séparation »
    Puis « Je ne t’écris plus. C’est un commencement. J’écris. »
    et enfin « l’écriture contre le désastre. L’écriture comme. Ou la joie ?  »
    Un parcours d’écriture qui me touche
    Merci

  3. Chère Nathalie,

    oui c’est tellement cela, cette force de mouvement, de transfuge vitalité contre l’écrasement, contre tuerie de chaque jour, nos frères qui tombent, gouffre affreux, et par-dessus corps, volent les mots et hissent haut nos pleurs d’amour, oui tellement cela, les écrits à plusieurs voix, la colère proférante, la puissance du Non, les écrits secrets cachés en silence, glissés dans des poches, puis la réalisation d’un interdit, la fraude, les mots détruits plus tard, regrets d’avoir laissé échapper par les doigts, et soudain reviennent dans la mémoire, les mots, les visions qui se sont accumulés à la porte, tout ouvrir, tout faire apparaître, pour respirer pleinement à plusieurs
    respirer à plusieurs