#anthologie #02 | Cuisine

La table de bois clair plaquée contre le radiateur au fond de la cuisine. Une jeune fille vêtue d’un pull bleu pâle serait assise là, face au mur blanc. De dos. Sa présence animerait d’un reflet la vitre de la porte-fenêtre placée à sa perpendiculaire. Dans le prolongement, l’angle saillant du plan de travail, adouci par un réseau de lianes aux feuilles sombres en forme de coeur, descendues d’un pot de fleur posé sur le haut des éléments, placards à portes gris clair, poignées en forme de losange imitation marbre. Sur le plan de travail, un cuiseur à riz, le poste de radio, son cordon noir branché à la prise murale. Au bord de l’évier, bac blanc jauni, robinet à col courbé, une éponge à gratter, un flacon de produit à vaisselle jaune citron. Une passoire à l’envers, une palette en bois s’égouttent. A côté, un stock de sacs en papier kraft froissé, des bouteilles et pots de verre vides, trois planches à découper appuyées à la paroi du réfrigérateur. Dessous, le lave-vaisselle, boutons marqués d’empreintes de doigts. La porte blanche du réfrigérateur constellée de magnets, l’Acropole dans un ciel bleu roi, une danseuse de flamenco à la robe rouge, le drapeau du Québec, une chope de bière moussue, un parasol de Soulac-sur-Mer, le drapeau à tête de Maure Corse, un goéland sur un rocher, un tournesol peint par Van Gogh. Angle de mur. Dans le décrochement, la porte vitrée ouvrant sur le couloir mal éclairé. Le mur blanc moins blanc dans l’ombre. Une étagère rose fuchsia avec une bouilloire électrique vert d’eau, le grille-pain assorti, deux boîte à œufs pour six oeufs, une balance électronique ultraplate, des bananes encore vertes. L’autre mur. Sur la plaque de cuisson éclairée par la lumière de la hotte, une casserole marquée de la mousse blanche qu’a laissée l’eau des pâtes en débordant, une poêle où tiédit un reste de sauce tomate. A côté, une main à gros sel, des boîtes d’épices, poivre, paprika, cumin, curcuma, des sachets de thés noirs, la machine à expresso, une cuillère doseuse, un bac pour le marc de café. Puis, face à la porte-fenêtre, une colonne de placards dans laquelle est encastré un four à la vitre zébrée de fissures. Le mur du fond. La jeune fille, assise sur un tabouret à quatre pieds, son pull bleu pâle flottant bas sur ses reins. Les cheveux remontés en queue de cheval sur le sommet de sa tête dévoilerait sa nuque fine penchée vers un téléphone portable calé contre un verre rempli d’eau gazeuse. Sur l’écran, en gros plan l’image d’une autre jeune fille et, épinglée dans un coin sous forme de vignette, le visage de la jeune fille au pull bleu pâle. Elle se décalerait, roulerait sur sa fourchette des spaghettis et les glisserait dans sa bouche. Alors apparaitraient dans la vignette la bouilloire électrique et le grille-pain posés sur l’étagère rose fuchsia.

A propos de Aline Chagnon

Ce qui me passionne dans l'écriture, c'est l'expérience, le chemin.

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