Il est agenouillé entre deux tombes. Personne ne l’a vu s’éloigner du regroupement. Il a sorti un bloc Rhodia noir, la marque et les sapins imprimés en orange, un petit bloc, n°11, 5×5 (80 feuilles, 80g/m2, 7,4×10,5cm), petits carreaux, un bloc sur lequel se notent les listes des courses, des choses à faire. A moins d’être placé face aux deux tombes entre lesquelles il est, on ne peut pas le voir, ou alors de dessus, le dos courbé, la tête penchée sur le carnet posé sur un genou, le second étant presque à toucher le sol, presque car le sol est mouillé et qu’il fait attention à ne pas tacher son pantalon. Mais il n’y a pas de drones, pas d’oiseaux pour le voir ou alors, haut, un milan mais les milans ne disent à personne ce qu’ils voient. Le livre commence à s’écrire comme ça, dans l’urgence cachée et honteuse de mots qui se répandent dans un vomissement long, doux et brûlant, sur un petit bloc Rhodia dont les pages s’emplissent vite, d’une écriture fine à l’encre bleue, aux lettres à peine formées, sur quoi, huit lignes par page?, parfois moins. Personne ne le cherche, personne ne l’a vu s’éloigner. Il met le bloc dans la poche de son manteau, se relève, se rapproche dignement du caveau. Il tient ses mains au chaud. Dans l’une le bloc Rhodia, dans l’autre le bic quatre couleurs, pas vraiment un stylo d’écrivain.
» Le livre commence à s’écrire comme ça, dans l’urgence cachée et honteuse de mots qui se répandent dans un vomissement long, doux et brûlant, sur un petit bloc. » Appétissant.
Oui, superbe passage du texte.
L’écriture qui née de ce qui est mal digéré, franchement tellement ça, et les outils d’écrire en petit secrets, j’aime beaucoup la situation,
Un milan, presque un milord, qui plane au dessus d’un cimetière… ce n’est pas un corbeau, il est moins vrombissant qu’un drone, il indique une présence et celles qui sont sous terre, il ne fait aucun commentaire, mais il connait l’emplacement d’une histoire à exhumer. C’est déjà un soutien pour le narrateur. Il écrit, il écrira, non sur Rhodia Plage, mais sur ce petit calepin de bureau qui ressemble à un éphéméride sans saint.e. et sans légende humoristique ou tibétaine. Ecrire sur une dalle de souvenirs n’est pas la moins dérisoire des manières. Mais il faut aussi fleurir la crôute du chagrin, à la rigueur la débarasser de sa poussière. Bonne écriture cher Philippe, ce personnage est si familier et le stylo quatre couleurs si nostalgique .