Je m’installe ici tous les jours de la semaine, près de la fenêtre, là, je peux voir les cyclistes garer leur engin, je vois aussi les piétons qui passent devant la médiathèque. J’aime la vision de la population qui m’est offerte de cet endroit, des d’étudiants, des retraités, très peu de gens entre trente ans et cinquante ans. Cette vision de la société est apaisante, la vie est à venir ou est passée. Je vois les soldats avant la bataille, près à embarquer, ou assis, fatigué, connaissant déjà la trace qu’ils laisseront dans les mémoires. Je peux voir l’espoir et le doute dans les yeux jeunes et brillants, la résignation ou l’illusion inutile dans les yeux usés et ternes. Je ne fais qu’à faire mon marché, toutes ces vies sont à vivre ou à revivre. Quelquefois j’arrête la rédaction de mon roman pour esquisser sur mon cahier une silhouette, un jeune boutonneux ou une ancienne cancéreuse, une vilaine vierge ou un vieux pervers; je suis Dieu, sur le papier je peux leur offrir une vie qu’ils n’oseraient imaginer. Je me retiens souvent, mais certain jour, je me lève d’un bond de ma chaise, je laisse en plan mon cahier et mon stylo sur la table en Formica marron qui est devant moi, je m’approche de ma cible d’un pas rapide, souvent celle-ci lit, elle ne m’a pas vu venir. Je suis juste à côté d’elle, je m’apprête à lui faire ma proposition malhonnête, la vie qu’elle souhaite contre un peu de temps, qu’il ou elle devienne le héros de ses rêves, qu’elle vive les aventures qui l’anime dans ses draps, qu’elle extermine dans des morts atroces tous ceux qu’elle maudit au guidon de son vélo, qu’enfin sur le monde elle laisse sa trace indélébile. J’ouvre la bouche, je dis : excusez-moi, elle lève la tête vers moi, je vois ses yeux innocents et inquiets et je me tais. Elle me prendrait pour un fou, pourtant, qui lui offrira la possibilité de devenir le héros de sa vie. La médiathèque ouvre à treize heures, elle ferme à dix-neuf heures, je fais avec. Le matin je m’occupe, je rumine quelques idées que je note dans un carnet, j’écris quelques mots, j’espère qu’ils seront des déclencheurs ou la source d’une rivière de mots dans laquelle je n’aurais plus qu’à me baigner. À treize heures, j’attends déjà depuis un quart d’heure sur l’esplanade devant la porte close de la médiathèque, Dieu aussi est toujours impatient. On fait ça ensemble, il disparait quelque fois, mais il me soutient.
c’est donc toi, Dieu?
Non, Je ne suis pas Dieu, c’est lui, l’auteur, mais je connais ce personnage, si tu as un voeu, n’hésite pas, je lui transmettrais, c’est un petit gars sympathique.
toujours pensé que j’aurais deux mots à lui dire s’il daignait se créer des oreilles pour les entendre, et puis aussi tous les matins ( quand j’y pense ) dans la glace de la salle de bain, je les vois ces p.. d’ oreilles, en me rasant, sauf que j’ai tout oublié de ce que voulais dire, je reste sans mot. C’est peut-être ça être « baba »… Enfin à ce moment là quelqu’un murmure « il ne peut y avoir qu’un seul Dieu », et je réplique aussi sec « cause toujours mon gars ».
Dieu est un fumeur de havane ou un traîneur de savates, je n’ai pas retenur l’info officielle, je n’ai jamais su s’il faisait vraiment quelque chose pour les humains dans sa vie qui s’éternise dangereusement grâce à la crédulité ambiante. Je ne sais pas non plus s’il est auteur de quoi que ce soit qui nous concerne. Mais je sais que le chanteur Arno a essayé de se mettre à sa place, mais il en est mort le bougre d’animal.https://www.youtube.com/watch?v=uT9485Hw81s&t=2s
Je m’en doutais. Il s’offre la vie des autres qui, en retour, s’offre aussi la sienne. Une histoire de vies imaginées par les autres. Dieu est un écrivain, rien de plus. Habile jonglerie.
Ce Dieu visitant la Terre, comme dans les vieux contes religieux, soumis aux horaires des médiathèques, je l’aime déjà !