À travers la vitre du bistrot, une homme et une femme assis face à face de chaque côté de la petite table carrée sur laquelle deux cafés sont posés, ils doivent être froids depuis le temps les cafés, aucun des deux n’y a touché. Elle a le dos raide les mains sur les genoux, elle se penche légèrement vers l’avant puis se rejette en arrière contre son dossier en abaissant son menton sur sa poitrine. Ils sont de profil sauf à un moment où la jeune femme a tourné la tête vers la vitre c’est là qu’on voit que sa lèvre supérieure est agitée d’un tremblement. Les yeux brillent comme quelqu’un qui va pleurer. Mais elle ne pleure pas. L’homme est très brun, assis bien carré mains sur la table et tentant de s’ancrer comme pris de vertige, doutant de la réalité de ce qui vient d’être dit par la femme, c’est peut-être pourquoi il se raccroche à la table, au solide de la table comme s’il allait tomber, dos contre le dossier de la chaise, une chaise de bistrot en bois verni, le haut du dossier forme un demi-cercle, le dos peut s’y loger en cas de nécessité, s’y acculer dos au mur comme on dit quand il faut affronter. Elle, front en avant mouvement du taureau qui fonce dans le chiffon rouge, ils ne bougent plus ni l’un ni l’autre, leurs lèvres sont immobiles, à part le tic nerveux de la lèvre supérieure. Ayant croisé son regard, elle a détourné les yeux, repoussé le café, croisé ses mains sur la table. L’homme a repris la parole, attitude humble son buste s’avance un peu voûté, un mouvement qui part du ventre, ça doit être là qu’il a mal de ce qu’il parle, il argumente, ses mains sont ouvertes paumes en l’air. Elle fait non de la tête, elle a placé ses bras en arrière, accrochés au dossier, posture qui fait ressortir ses seins comme une femme ligotée. Il avance une main sur la table, elle recule sa chaise. Il a des gestes d’avocat qui plaide. Elle est un bloc compact, on peut sentir même à travers la vitre qu’elle est glacée, qu’elle est une statue de juge avec ses mains croisées, qu’elle ne veut rien entendre. Un autre homme est assis à la table voisine, en biais il fait face à la femme, il s’agite un peu comme s’il n’osait (parler, partir?) tripotant son briquet il hésite, les deux autres ne le voient même pas, n’ont aucune conscience de sa présence. La femme éructe un déluge de paroles en agitant les mains elle avance son buste, elle avance ses mains presque à toucher le visage en face d’elle mais c’est loin d’être une caresse, c’est des mains qui voudraient griffer ou gifler, l’homme à qui appartient ce visage ne bouge pas, il écoute. Il reçoit le torrent dans sa figure. Elle parle longtemps. Elle dit du rouge, du rouge sang c’est visible à travers la vitre. Elle s’arrête net comme au bout de son souffle, elle baisse les yeux sur ses mains qui tremblent, elle les fourre sous la table. L’homme à la table voisine a un mouvement plus marqué, il va prendre la parole, il parle. Les deux visages se tournent vers lui en même temps, deux morts-vivants réveillés des morts. Les deux visages expriment le choc de cette intrusion, les deux visages reflètent la violence de cet acte de l’homme à la table voisine, cet inconnu qui leur adresse la parole dans un moment pareil et qui s’immobilise, se pétrifie, se rendant compte sans doute de ce qu’il vient de faire. Mouvement de la main comme pour effacer ce qu’il vient de dire, mais ce qui est dit est dit. Il se lève avec une certaine difficulté, étant assis entre le mur et la table, c’est un homme âgé, il se peut qu’il ait voulu… faire bénéficier de son expérience… prendre parti… absurdité, il s’en rend compte ça se voit dans son corps qui se glisse entre les deux tables, qui va payer sa consommation au comptoir, qui sort du café.
… elle est vraiment magique cette #1 – je vais d’écrit en écrit, je passe par ce bistrot, un couple, un intrus qui a couru le risque de vouloir bien faire, de rattraper au vol quelque chose qui tombe, qui tombe… et les textes s’arrêtent et me laissent avec le même désir de savoir ce que ces mots qui parlent de mots ont eu pour consigne de ne pas dire ! Ce 3è homme est très intéressant, il est comme nous, ne devrait pas savoir… et pourtant il sait !
ce que les mots ne disent pas, les gestes s’en chargent, tout l’intérêt de cet exercice… oui, le troisième homme a tout entendu, lui. mais il n’a pas bien vu, d’où sans doute, son intervention malheureuse.
C’est une claque votre texte, ce dialogue, cette dispute que l’on voit, que l’on devine, que l’on entend presque et cet homme qui s’y introduit, c’est magnifique. Bravo, à bientôt.
c’est bon de voir la vitre voler en éclat et le verre brisé ça porte bonheur.