Un livre avec des pliures déjà beaucoup utilisé quand on me l’a donné. Folio simple et souple. Mon père me l’a proposé, un classique et dont, selon lui, j’avais l’âge pour le lire. Le nom de l’auteur assez gros, assez loin, étrange et célèbre dont la réputation m’était déjà parvenue sans doute grâce à mes parents, grand parents. Livre en 2 tomes, long : je me sentais fier de le lire à cet âge.
Avec une illustration frappante sur laquelle je me suis attardé de nombreuses fois comme support à ma rêverie sur tous les personnages. Chaque fois avant et après le temps de lecture, je regardais cette illustration à tel point qu’encore aujourd’hui, l’un des personnages en a encore le visage. J’étais plongé dans les personnages. L’auteur leur tourne autour sous tous les angles: ils sont le centre de tout; pas d’air autour d’eux ni de paysages; que eux, leurs histoires, leurs bizarreries, l’effet qu’ils produisent sur les autres, l’effet que les autres produisent sur eux. Comme un plan séquence qui suivrait le personnage en même temps que lui bouge ou comme si la caméra s’arrêtait et suivait le mouvement du personnage qui s’en éloigne ou alors comme si la caméra s’arrêtait en même temps que lui tout en zoomant sur son visage et masquant le corps. Il y avait de multiples procédés pour parler des personnages et le changement de procédé induisait un nouveau mouvement du récit: on passait de l’exposition à une scène générale avec de nombreux personnages pour continuer sur le personnage seul avec ses pensées puis celui-ci vu par un autre, pensé par un autre. Dans la vie, ça pourrait commencer par la passion des ragots puis le conflit puis l’amour mais il y a déjà de l’amour dans les ragots.
C’était un monde très lointain, une autre époque, un autre lieu que le mien. J’entrai dans un univers étrange et totalement imaginaire sans ancrage: un univers loin de ma réalité. J’étais tellement immergé que je ne me souviens pas des endroits où j’ai lu. Je me souviens de la magie du moment: au cours d’un voyage en Grèce. Moment de philosophie où j’ai pris du recul sur le quotidien pour penser. Au milieu des ruines antiques, pensée sur les échos de la pierre vieille de plus de 2000 ans. Dans le pays qu’on dit berceau de la philosophie. Grèce, orthodoxie chrétienne, prise de notes dans mon calepin philosophiques, tentative de penser sur la religion, la nature. Mon livre parle de philosophie en la focalisant sur ses personnages. Philosophie dans la psychologie, profondeur, inconscient religieux ou athée. Un personnage qui marche, qui pense de façon obsessionnelle en marchant, des images lui apparaissent d’un coup, des gestes inconsciemment manifestés, ils ont une part de folie. Je vois des gens qui marchent dans ce roman et qui pensent ou sentent en marchant.
Je ne sais pas trop comment raconter ce moment de magma dont l’image qui me revient est ce lieu moment dans les ruines d’Olympie autour du vieux stade qui évoque une activité humaine d’alors non religieuse. Vieux stade rempli d’herbes maintenant qui me fait philosopher sur la nature plutôt que sur l’humain. En philosophant sur la nature, je philosophe sur les dieux et je m’échappe de l’humain tout en m’y rapportant de loin par le biais du stade. Il faisait beau, jour merveilleux. Je ne sais plus où j’en étais dans le roman mais ça devait être à une fin de partie où je me sentais pleinement satisfait du récit, de sa géométrie et de sa variété de personnages qui en faisait un monde complet et autonome.
Structure très détaillée qui me satisfaisait pleinement avec une arborescence en parties, livres, chapitres tous avec un titre. Avec un ordre logique dans le déroulement, un équilibre des parties comme une musique.
J’ai relu plusieurs fois des passages, toujours les mêmes, qui m’obsédaient. Avec une impression de tourner en rond parfois toujours autour de la même obsession, parfois en écoutant de la musique. J’avais trouvé une musique pour chacun des personnages principaux.
Le second paragraphe qui tire ton histoire vers la photographie, le cinéma, belle façon de parler d’un livre.
Merci Bernard pour ce retour précis.
Quand c’est bien découpé, éclairé, calibré au niveau du temps et de l’espace, on se croit au cinéma, alors qu’on est encore dans la contemplation des évocations du livre. Le dosage minutieux des descriptions demande une certaine rigueur qui évacue d’emblée l’émotion des personnages. Il faut peut-être en passer par là pour faire vivre le roman qui se construit au milieu des ruines, où l’herbe repousse, les personnages restent souvent méditatifs. Faut-il la fouler au pied pour avoir l’air vivant, encore un moment ? C’est réglé comme du papier à musique, j’attends la cacophonie. Je découvre votre écriture…
belle idée de roman qui nait sur les ruines entourés de personnages méditatifs. Merci beaucoup.
Découverte de votre texte. J’aime la façon dont vous parlez de ce livre, c’est imagé, précis et effectivement très cinématographique.
la chute est très belle : « J’avais trouvé une musique pour chacun des personnages principaux. » Merci
Merci de cette lecture.