Une fois, j’ai lu un roman. J’étais en hypokhâgne. Il était plein du bruit de la mer. Elle était folle, comme moi. Dans ses gesticulations, ses mots vains, vides, boursoufflés, je m’étais reconnu, avais vu mon angoisse, mes idées noires qui gonflaient, qui m’avaient gagné, un jour, m’étaient tombées dessus, m’avaient rendu dégoûtant, sans que je sache trop pourquoi.
Je l’ai lu, puis arrivé au bout, je me suis réveillé. Je me suis rendu compte que je n’avais rien compris. Qu’il m’avait échappé. Je me suis débattu. Je l’ai relu. Des choses m’ont échappé, encore une fois. Mais cette seconde fois, la lecture avait été une relative victoire. Le temps est passé. Que m’en reste-t-il ? Pas grand-chose. Le bruit de la mer. Des personnages qui dansent. Une folle. Du moins, on pense qu’elle est folle. Les vagues qui dansent. Des mots qui dansent, qui dégringolent. Tout ça s’est évaporé. J’ai pensé, parfois, le relire. Je le relirai un jour, une troisième fois. J’en viendrai à bout, une troisième fois. A nouveau, ce sera une victoire. Relative.
Du prologue, il m’est resté des choses évanescentes. Un jour, nous étions allés, ma sœur, mes parents et moi, dans le sud, dans un hôtel, non loin d’Avignon, au bord de la mer. Hôtel miteux. Chambre miteuse. Séjour désagréable. Mais il y avait eu les vagues, le soleil qui se couchait, le ciel qui agonisait, ensanglanté. Mes souvenirs de ce lieu sont pleins d’ombres. Il y a comme des trous dans les images de ma mémoire, dans les souvenirs chers à mon cœur, comme sur des photographies endommagées, pour toujours perdues. Pourquoi s’étaient-ils disputés ? Que lui reprochait-elle ?
Il y avait cette salle de bal où nous dansions. Je voyais ma sœur et mon père danser. Une salle de bal triste. Des rideaux noirs. Une musique pour meubler l’ennui de ces vacances un peu nazes. Et il y avait l’animateur, un trou du cul qui se prenait pour quelqu’un, qui souriait exagérément, qui aurait mérité qu’on lui déboite la mâchoire. Les gens, des cadavres ambulants, dansaient autour de moi. Ils dansaient, et moi, je n’étais pas admis. Je suis sorti pour écouter le chant de la mer.
Pourquoi s’était-ils disputés ? Pourquoi ma mère a-t-elle pleuré ? Pourquoi mon père a-t-il hurlé ? Tout ça, cette dispute qui n’avait aucun sens, ces cris, ces fracas, s’est évaporé. Des moments douloureux. Qu’on voudrait oublier. Et dehors, il y avait le soleil, glorieux, qui se couchait. Le ciel, à l’agonie, plein d’une colère qui s’éteindra tantôt. Au-dessus de nous, ce sera plein d’ombres.
Wow, Jad, tu emportes sur l’horizon de tes ténèbres, well done !
à te lire encore, merci.
Merci ! Finalement, cet exercice m’a inspiré. Ca me touche beaucoup.
Belle entrée Jad, (je crois croire que nous parlons du même livre mais ce n’est pas le point), ton texte est un beau cadeau que tu nous fais, merci, j’aime comment du texte lu par le narrateur – de la fiction qui colle à son réel – il recolle au réel – écho d Léa fiction – et qui met le narrateur les deux fois dans tout ses états.
Et le texte pousse.
Bonne traversée de l’été et défi des comédies humaines qui nous attendent,
Cat
Merci, ça me touche ! Je ne sais pas si nous parlons du même livre, j’ai cru reconnaitre quelque chose dans ton texte. L’exercice me dérangeait, ce livre est un de ceux qui m’ont le plus marqués, et pourtant, c’est un de ceux que j’ai le plus oublié. Finalement, j’ai joué sur ça. Mais je vais le relire en parallèle des ateliers d’été.
Très beau texte, l’épaisseur, la folie, la mer.
J’aime beaucoup ce texte, son rythme, son style. Merci
Première fois que je te lis Jad et c’est beau, merci et à bientôt.
C’est un prologue plutôt triste, mais tellement lucide et sincère. On est plongé dans la tête du lecteur invité au bal des nazes… J’ai pensé au grand Meaulnes, à l’adolescent déphasé qui observe les autres , leur étrangeté, leur violence, leur insignifiance, le lecteur plane comme un spectre au dessus de « sa » réalité, il tente de la saisir, il n’y tient pas vraiment finalement, mais il a les mots justes pour qualifier les vagues, les ombres et l’agonie d’une certaine candeur. Ecrire c’est un peu surfer sur les vagues et prendre le vent. Il me semble que ça devient possible lorsqu’on est regardé.e.s et non jugé.e.s. La folie serait de croire que les ombres sont « tenaces » .
J’aime le combat contre le livre, en venir à bout, et finalement ce qu’on en retient. Tellement vrai. Ce qu’on garde des livres, cette question qu’on se pose si souvent. On est à fond dans ce texte. Il nous garde. Les images de la vie réelle comme des flashs et la façon dont on les reçoit fonctionne. On voit tout. Avec juste quelques phrases. Et ce futur tout à coup à la fin. Super entrée, mais surtout continuer sans se mettre la pression, Jad. A bientôt.
Tout cela déjà dans cette rumeur de la mer qui nous habite et nous pousse vers tes ombres
à te suivre, cher Jad…