#00, prologue# Il y a longtemps

Je suis née un dimanche. On dit que ça fait des enfants chanceux. Je suis née juste après le repas de midi, on disait que je serais gourmande. Je suis née en été, soleil, lumière, chaleur. Je ne suis pas née au bord de la mer, j’aurais aimé entendre le bruit des vagues. Je suis née dans une ville qui m’a donné beaucoup de bonheur.

Je suis née dans une époque mouvementée, on faisait comme on pouvait. Moi, je n’en savais rien. Ma mère Courage organisait, protégeait, déménageait, emménageait. Je ne me rappelle rien. Je suis née fille. Ils étaient contents, j’avais de la chance, mais je n’en savais rien. J’étais mignonne, j’étais sage, je babillais, je gazouillais, j’étais dans un cocon. Je ne me rappelle rien. Mon frère est né après moi. J’étais contente. Je ne me rappelle pas, mais lui se souvient. Il se souvient de tout. Il me raconte ma vie.

Une bombe qui tombe dans la maison, ma mère était partie à temps. Le père qui revient, prend sa part de soucis et d’organisation. Un nouvel appartement, une nouvelle vie, une petite sœur, un petit frère. Je suis contente, je continue mon cocon. Je lis tôt, beaucoup. Et j’apprends le nous. Nous sommes une famille, un ensemble. Nous allons nous promener le dimanche, nous allons jouer dans le parc, surtout pas dans la rue, j’apprends les interdictions, j’obéis, je lis, je vais à l’école. Là, le matin c’est la prière, je ne tiens pas en place …elle est bonne élève, mais elle est dissipée, elle bouge, elle parle…les parents grondent. Mais j’apprends, je lis, je vis. Je mange, je grandis. A l’école, on distribue du lait à boire à tous les enfants, du lait au riz, du lait à la semoule, du lait aux vermicelles, je me rappelle bien, parce que je n’aimais pas ça. Je ne veux plus de lait, plus de semoule, le riz qu’en paëlla, et les pâtes en carbonara. Les souvenirs du ventre, c’est persistant. La glace italienne, le petit déjeuner du dimanche, la chantilly sur le café et sur les gâteaux, les pique-niques à la piscine, l’odeur des tomates ou des abricots, il y a bien des choses finalement qui restent ancrées dans le corps…

A propos de Monika Espinasse

Originaire de Vienne en Autriche. Vit en Lozère. A réalisé des traductions. Aime la poésie, les nouvelles, les romans, même les romans policiers. Ecrit depuis longtemps dans le cadre des Ateliers du déluge. Est devenue accro aux ateliers de François Bon. A publié quelques nouvelles et poèmes, un manuscrit attend dans un tiroir. Aime jouer avec les mots, leur musique et l'esprit singulier de la langue française. Depuis peu, une envie de peindre, en particulier la technique des pastels. Récits de voyages pour retenir le temps. A découvert les potentiels du net depuis peu et essaie d’approfondir au fur et à mesure.