Tout part du ventre. C’est là qu’il s’est installé en toi. Tu le comprends aujourd’hui. C’est au collège que tu l’as lu pour la première fois. Ton professeur de français l’avait choisi. Alors ce n’était pas rien. Tu l’as donc lu et relu cette année-là – tu étais en troisième – et puis pas plus après, ou bien par fragments, car tant et tant de livres encore à lire, tu te disais, et peut-être aussi par crainte de déflorer cette première lecture. Mais tout ce temps, tu l’as gardé en toi ce roman car c’est bien lui qui a surgi là sans réfléchir, instinctivement, au moment de choisir. Et ce qui vibre encore par-delà les années – c’est maintenant que tu le comprends – ce sont tous tes désirs d’alors, désir adolescent, désir amoureux, désir d’écrire désir de lire, désir d’inconnu, désir d’aventures, viscéralement et mystérieusement. Tu ne l’as pas acheté. Tu aimais ses pages jaunies et l’odeur si particulière des vieux livres. Il faisait partie de la bibliothèque familiale, maternelle plus précisément. Décidément c’est un roman qui part du ventre et s’y installe. Mais c’est lui qui te l’a mis entre les mains. Ton désir. Tu aimais la voix qui le portait et l’enveloppait. Tu confondais tout. Quelque chose te happait. Tu te noyais. Il aurait pu être un personnage du roman. Et toi tout au bord. Prête à basculer. Un autre monde était possible. D’autres mondes. Ça sourdait alors tu t’accrochais aux mots aux mondes que ces mots faisaient surgir ce qu’il disait de toi que tu savais ou que tu ignorais encore mais dont tu pressentais que quelque chose se jouait là, portée par cette voix, dont tu n’attendais rien d’autre qu’elle t’ouvre le chemin des lectures et des relectures qui creusent encore et toujours quelque chose qui devait être vivre et ce désir de lire, d’effeuiller, de feuilleter, d’expliquer, de déplier, de faire grossir le livre de tout ce qu’il charriait de mondes et de désirs.
Je retrouve là des sensations qui font écho à ma propre adolescence.
« Ça sourdait alors tu t’accrochais aux mots aux mondes que ces mots faisaient surgir ce qu’il disait de toi que tu savais ou que tu ignorais encore » . Merci
Merci pour ce retour Claudine. Une proposition qui m’a invitée à une exploration inattendue !
J’aime l’idée du basculement, et de cette force présente dans le livre et qui « happe ».
Merci Isabelle ! La contrainte de parler du roman sans en parler mais en parlant de notre rapport à lui m’a permis de me replonger dans des sensations tellement fortes mais qui étaient enfouies. Vive l’écriture !
« portée par cette voix, dont tu n’attendais rien d’autre qu’elle t’ouvre le chemin des lectures et des relectures qui creusent encore et toujours quelque chose qui devait être vivre et ce désir de lire, d’effeuiller, de feuilleter, d’expliquer, de déplier, de faire grossir le livre de tout ce qu’il charriait de mondes et de désirs. »
Ce moment incarné et initiatique, on le souhaite à bien des jeunes élèves à qui on reproche aujourd’hui de n’avoir pas entendu ou même rencontré cette « voix » qui entraîne vers les continents de la connaissance, qui n’est pas le savoir… Pour moi, cela s’est passé dès l’école primaire, et j’en suis encore reconnaissante.
Merci Marie-Thérèse ! J’espère l’offrir à mon tour, qui sait ?