Un heureux hasard ? Une rencontre ? Provoquée ? Symbolique ? Tu en avais besoin ? Tu ne savais pas comment le dire? Ni même s’il fallait le dire ? C’est simple, aussi simple qu’apprendre à lire… ne cherche pas à tout comprendre. Ça broie les ailes de l’imaginaire. C’est effrayant ? Tu aurais peur de ton ombre à t’écouter… tu t’es laissé effrayer du hasard. Par ces prénoms auxquels ta propre histoire fait écho. C’est le hasard qui t’a fait ouvrir ce roman. Tu as osé croire aux miracles. En réalité, tu n’as fait que provoquer les symboles… Tu t’es même un peu retournée pour voir dans ton dos. Manie schizophrène que tu ne te serais point permise si tu ne te savais pas strictement seule. On passe vite pour fou de nos jours ! Alors tu as ri de toi. Le livre a tremblé entre les secousses de tes mains. Tu crois que l’on te parle ? Là sur ces pages blanches ? La preuve : ces deux frères dont le patronyme hante tout un chapitre ! Et ce dernier personnage ! tu les connais ! Ils sont de ta famille ! Tu te raisonnes : ces prénoms sont foules. Pour toi, ils sont uniques. Tu n’as jamais rencontré celui qui écrivit ces pages, pas plus qu’il ne te connaît. Ces prénoms sont des corps que tu n’as jamais touchés. C’est pourtant simple. Que cherche-tu a comprendre ? La peur t’entraîne. La beauté des mots te fait perdre pied. Tu te laisses emporter, stupidement. L’histoire parle d’un livre malmené, de morts, de pages manquantes, de vies, de rages et de colères. C’est beau. Universellement beau. C’est tes tripes à toi cependant que tu ressens vriller à cet instant. Les tripes des autres sûrement aussi, mais beaucoup moins que les tiennes.
Alors, comme si tu t’entêtais dans l’erreur, comme si cela ne te suffisait pas, tu fais appel au souvenir de dimanche dernier : paraît-il qu’on avait refait le marbre du caveau de famille dans le petit village où ont vécu tes ancêtres ? C’est ce que t’a dit ton frère, par hasard, juste avant que tu partes. Vous étiez sur cette place. Dans ce petit village où il n’y a guère d’autres attractions que la mairie où tu vas très peu, l’école où tu es déjà suffisamment allée, l’église sans charme ou tu t’es fait la promesse de ne plus mettre les pieds. Enfin, le cimetière où tu évites soigneusement de te rendre. Tu savais cette idée stupide, tout comme ce pacte idiot passé avec ce roman aujourd’hui. Tu as jeté un regard de défi au ciel bleu sans nuages. Tu es entré, bravement. Cela t’a semblé si simple… Tu ne pouvais te souvenir de la peur, mais tu avais encore le choix de faire demi-tour. De refermer les grilles rouillées aussi facilement que tu viens de fermer les pages de ce roman. Tu as suivi ton ombre, tu croyais encore pouvoir être raisonnable. C’était beau. Universellement beau. Ces caveaux de famille réunis pour toujours dans le silence, entrecoupé de tes pas, sur le gravier blanc, régulier comme le bruissement des pages du roman que tu viens de lire, couché sur la table devant toi. Effectivement, il était temps de refaire le marbre, les lettres commençaient à s’effacer depuis la dernière occasion où tu avais cédé à ton œil de se poser sur cette pierre. Il y a si longtemps… Cela devait être à l’occasion du dernier enterrement. Tu avais pris sur toi pour rentrer dans l’église puis pour suivre ces allées de graviers un peu plus floues alors. Il faisait si sombre… Dimanche dernier, tu as senti tes tripes vriller juste à côté des prénoms si familiers. Deux précisément : des prénoms inconnus, de corps inconnus, jamais prononcés. Pourtant des prénoms si universels. Tu as douté : le marbre est trop neuf, cela n’était pas réel. L’émotion t’a empêché de lire correctement. C’est tout. Il t’a semblé que les autres prénoms, trop silencieux, auraient été les seuls à pouvoir te raconter le roman de ces deux vies passées : deux enfants, une fille et un garçon. Deux prénoms universels. Universellement connus. Anonymes. Morts avant d’avoir vécus. Tu as osé douter du hasard. Tu t’es même un peu retournée pour voir dans ton dos. Tu étais seule. C’était effrayant.
Tu as toujours eu peur de ton ombre. Tu deviens folle. C’est tout. Ensuite, tu n’es plus que rage. Tu arraches ces pages brûlantes que tu jettes en les froissant dans la poubelle sous l’évier. Le bruit de ta colère est ridicule. Tu ne sais pas si tu trouveras un jour le courage de le relire. La raison voudrait que tu le rachètes ou que tu t’en procures une version plus moderne (pourquoi pas audio ou sur liseuse ?). Mais tu l’entêtes, tu n’oses te le dire. Tu choisis de ranger le livre aux pages manquantes dans ta bibliothèque. Fractale d’objet précieux. Comme s’il s’agissait d’une miraculeuse relique à l’odeur de poussière. Identique à celle de ce dimanche dernier. Tes pieds avancent seuls dans les graviers blancs. Entre les touffes de pissenlit jaunes : les dalles de marbres grignotées par la mousse sous le silence écrasant des montagnes.
Trop peur. Moi, je fuis. Mais merci quand même Géraldine Queyrel.
Bien contente que l’on se retrouve sur ce prologue plein de promesses Ugo. Oui, a la relecture je t’accorde que ça fait peur. Ce n’est pas faute de me le répéter : trop vite, pas assez relu, premier jet, un peu fouillis, je me demande même si je suis vraiment dans la consigne…et puis zut ! J’y pense et puis j’oublie ( ce n’est pas à toi que je vais l’apprendre qu’une consigne se respecte …😜 alors que nous savons tous qu’écrire c’est d’abord se faire plaisir ) ma bonne résolution de ce cycle est d’apprendre la patience…. Ce matin il faisait chaud je m’ennuyais un peu alors je me suis accordé une petite sortie d’école buissonnière… rafraichissant! Et puis demain on recommencera à être patient et à écouter les consignes… quant à avoir peur ? J’aurais vraiment eu peur si j’avais parlé des romans de la bibliothèque ( verte ? il me semble … ) lus en cachette, sous les draps, la nuit éclairée par une lampe de poche 👻. Là oui mon histoire aurait été effrayante .☺️
Peur, non ou alors crainte que s’arrête le chemin de gravier et sa musique envoûtante… bravo Géraldine, une fois encore tu nous emmènes, même si c’est aux bords d’une folie, merci.
☺️