J’ai tenté vivre. J’ai tenté innocence. J’ai tenté. J’ai proclamé en fanfaronnant. J’ai fanfaronné
J’ai poussé un cri. J’ai poussé un cri puissant. J’ai poussé les limites. J’ai poussé le cri dans la montagne. J’ai poussé dans un corps. J’ai poussé ma main. J’ai poussé dans un ventre. J’ai poussé ma tête. J’ai poussé le cri en passant la tête sous la cascade. J’ai dérangé quelque chose avec le cri.
J’ai babillé. J’ai babillé des sons qui ne se traduisent pas. J’ai babillé dans un berceau. J’ai babillé dans un lit à barreau. J’ai certainement babillé. L’habitude de babiller m’est certainement venue assez vite.
J’ai perdu mes clés. J’ai perdu des adresses. J’ai perdu tout ce qui se peut perdre. J’ai perdu toutes les clefs attachées ensemble. J’ai attaché tout ce qui se perd avec un fil rouge.
J’ai bu dans l’infra. J’ai bu beaucoup d’un liquide sucré et salé. J’ai bu des verres et des bouteilles. J’ai bu des bols, des tasses et des assiettes creuses. J’ai bu sans rien voir. J’ai bu sans entendre les bruits dans mon estomac. J’ai bu des choses. J’ai bu sans étancher ma soif.
J’ai découvert cette habitude d’avaler. J’ai pris des habitudes pour avaler. J’ai avalé de tout. J’ai avalé pour ne pas vomir. J’ai avalé des couleuvres pendant leur danse nuptiale.
J’ai trop bougé. J’ai trop bougé de façon répétitive. J’ai répété les façons de bouger. J’ai répertorié des listes de façons de bouger. J’ai répétitivement bougé de façon répétitive. J’ai compté les répétitions de chaque façon de bouger. J’ai recommencé.
Je me suis vantée. J’ai vanté ma méthode.
J’ai mélangé des choses. J’ai mélangé des larmes épaisses avec des eaux troubles. J’ai mélangé des substances avec les doigts. J’ai mélangé de la salive et de la terre dans le creux de mes doigts. J’ai mélangé de la terre avec un doigt plein de salive. J’ai mélangé dans ma bouche.
J’ai porté des manteaux rouges. J’ai porté des couronnes de fleurs. J’ai porté des chaussures trop serrées. J’ai porté des peaux sur ma peau. J’ai porté des effets. J’ai porté des sous-vêtements inconfortables. J’ai porté des histoires dans des poches percées, j’ai porté des histoires coincées dans des doublures.
J’ai rasé des murs. J’ai rasé l’ombre des murs. J’ai rasé mes aisselles. J’ai rasé ma tête. J’ai rasé mes jambes. J’ai rasé des morceaux de mon corps. J’ai rasé les murs trop longtemps.
J’ai enfilé des morceaux de ma figure.
J’ai décidé d’aimer le café. J’ai décidé de ne pas trop vomir. J’ai décidé d’aimer le tabac. J’ai décidé de ne pas trop vomir. J’ai décidé d’aimer toucher des choses molles et humides. J’ai décidé d’aimer la liste qui habituellement est aimée. J’ai décidé de réciter la liste avec le ton.
J’ai penché la tête. J’ai penché mon visage. J’ai penché volontairement le visage de ma tête penchée.
J’ai fait des tresses avec des cheveux qui ne poussaient pas…pour voir. J’ai cuit des Béchamel avec trop de farine…pour voir. J’ai grillé des tranches de cœur à la poêle…j’ai pas recommencé.
J’ai emmêlé mes jambes. J’ai emmêlé des odeurs. J’ai emmêlé des goûts. J’ai emmêlé ce qui écoeure et ce qui comble. J’ai emmêlé mes doigts avec d’autres doigts.
J’ai dit des mensonges. J’ai dit la couleur d’un mensonge enterré. J’ai dit la couleur d’une vérité enterrée. J’ai dit des vérités. J’ai dit quelques mensonges. J’ai dit la vérité. J’ai dit une autre vérité.
J’ai enfilé des manches sans épaules. J’ai enfilé des devants sans dos. J’ai enfilé des anoraks. J’ai enfilé des maillots de corps. J’ai tressé des rubans. J’ai enfilé des ceintures dans des passants. J’ai enfilé des collants opaques. J’ai enfilé des fils. J’ai enfilé des aiguilles.
J’ai découpé des jambes jusqu’au ras des fesses. J’ai découpé des manches en lanière et gardé le poignet intact. J’ai découpé des cols sur un pied de col. J’ai découpé des fentes sous mes seins.
J’ai tricoté de la laine. J’ai tricoté des mailles. J’ai tricoté des mailles pour les frotter d’eau chaude et de savon. J’ai tricoté un fil unique. J’ai tricoté des mailles sans les serrer. J’ai tricoté les fibres d’un fil destinées à échapper à la mise en ordre. J’ai tricoté des matières linéaires en boucles lâches. J’ai tricoté la matière épaisse d’une forme deux fois trop grande. J’ai tricoté des vêtements d’une seule pièce pour combler les vides. J’ai comblé la matière tricotée par frottements répétés. J’ai répété les frottements jusqu’à feutrer la matière. J’ai tricoté la laine seulement pour feutrer d’un seul tenant des robes-corps.
J’ai enfilé des gants raides de résine. J’ai enfilé des bottes de caoutchouc. J’ai enfilé des baies sauvages dans ma bouche.
J’ai écorché mes doigts à broder des cailloux. J’ai brodé des cailloux pesants. J’ai brodé des cailloux, leur poids entre les mains.
J’ai parcouru des chemins de crêtes. J’ai parcouru des creux. J’ai dormi dans des abris. J’ai parcouru des itinéraires. J’ai parcouru des cartes. J’ai dormi dans des trains. J’ai parcouru des chemins de frontière. J’ai parcouru des boulevards et des ruelles. J’ai parcouru ces espaces seule la nuit.
La nuit, jai tenté de faire le point. Faire le point la nuit fait mal. On a mal la nuit quand faire le point est une tentative. La nuit certaines tentatives sont des actions à plein titre. Une tentative qui est une action à plein titre devient une action-corps. J’ai tenté l’action-corps sans tenir compte des conséquences du feutrage, il rétrécit presque deux fois la matière primitive.
ici le texte sur la même proposition du cycle Pousser la langue
le passage sur le feutrage est inspirée du travail plastique de Diane Gaignoux exposée en solo jusqu'au 28 juillet au centre d'art Le Basculeur.
J’aime le rythme . Les reprises. Les déplacements. Et le propre et le figuré.
Merci d’être déjà là… Oui, vraiment,
fort belle musique
Merci Piero, j’ai moins forcer le rythme cette fois, peut-être une place pour une mélodie en retour ?
Et l’on se dit que cela pourrait continuer encore et que l’on ne se lasserait pas. On est emporté par le rythme et par les images .
Bonsoir Catherine
Entre tenté Vivre et tenté Faire le point, mille choses J’imagine bien ce texte scandé à voix haute , et qui pourrait se déplier encore Une belle écriture tonique !
à chaque paragraphe, à chaque saut improbable dans chaque paragraphe me suis dit c’est ce qu’il faut citer comme spécialement … quoi ? retenu ) peut-être…
bien – merci Catherine
Tout ce qui me fait envie dans ce texte… « dérangé quelque chose avec le cri » « j’ai porté des histoires coincées dans des doublures. » « J’ai enfilé des morceaux de ma figure. » Et tout ce qui reste iinattendu. Merci !
Ca déménage Catherine !
Superbe texte.
Entre terre à terre et envolées poétiques.
Et ces répétitions qui induisent le rythme, donnent force à votre texte.
Bravo !
Quelle force ce texte ! Envie déjà de le relire.