C’est un livre qu’on lit avec le corps, depuis le corps, depuis les mouvements du dedans. Les mots choisis et les images, les dialogues aussi, tout y contribue. Il y a identification au corps de l’héroïne, jeune et rebelle au début, qui découvre la désobéissance, qui découvre l’amour, le plaisir, puis le corps fracassé et quand tout avenir n’est plus à cause du corps supplicié ce qu’elle y laisse naître, la compassion, la bienveillance et l’écoute des autres. Le corps et l’esprit en vases communicants. La force que perd l’un, l’autre le gagne. Et l’homme dans tout cela. Une espèce inconnue, à qui on pardonne tout, qui aime la guerre, la violence jusqu’à la cruauté, qui part, qui revient, qui laisse, une sorte de brute qui peut par moment être immensément protecteur pour elle, quoique pas fiable du tout en définitive, puisqu’à la fin il la laissera, l’inutilité à laquelle elle devra se résoudre, elle ne lui sert plus à rien, il doit partir et auprès de lui vieux pour en prendre soin, sa propre fille, et plus jamais elle, jouant sur ma peur primitive d’être remplacée, peur transgénérationnelle, il faut cette proposition d’écriture pour toucher du doigt ce qui était resté enfoui, et toujours le coup du sort qui barre la route au bonheur chaque fois qu’on le sent à portée de mains, à bout touchant selon l’expression helvétique, oui, tendre la main, le toucher, et puis non, l’accident, le mécanisme bloqué, la tristesse à lire plus violente encore de l’avoir cru possible, ce bonheur, ce que le corps en imagine, comment il le sent par procuration, le soulagement au-dedans, tout ce qui aurait pu être autrement et non, le bonheur ne sera pas, le poids que cela fait dans le corps, bien après avoir refermé le livre, et marcher vivre avec le corps lesté, en écrivant à son propos, ce qui s’était écrit, résumant l’histoire, l’image de lui, personnage secondaire, l’enfant timoré, qui se condamne à l’enfermement, à peine homme ou si jeune encore dans le passage secret dont le mécanisme ne fonctionne pas, condamné, qui se condamne lui-même parce qu’il n’est pas tel que son père aurait voulu qu’il soit, l’enfant qui s’emprisonne lui-même parce qu’il a trahi son père. Tout aurait pu être différent, il suffisait d’un rien, et puis non, la catastrophe toujours, le bonheur n’est jamais au rendez-vous. Et aujourd’hui encore si pas écrites avec le corps, les phrases de mon texte, elles finiront à la poubelle.
lire avec et depuis le corps, oui il y a ces livres-là
(et ceux où le corps est un poids, ceux qu’on voudrait pouvoir lire sans corps)
Oh, oui, Nathalie, tu as tellement raison. Mais lire sans corps, est-ce encore lire ?
Bonjour Anne,
Le passage du contenu de ce livre important aux résonances avec la vie de la narratrice touche juste, cette culpabilité du bonheur, combien sommes-nous à la porter, à mettre des présages sur les bons et mauvais moments, à « subir » la tentation de la poubelle, mais le texte veut autre chose, qu’on le lise, qu’on le creuse et qu’on le continue, le petit « gnome » de la fin du texte (il me l’a fait recommencer, d’où sortait-il ? ) ne mérite pas autant d’attention, l’attention toute au corps (du texte) de la narratrice et des mythes qui la porte,
Bon été, à se lire, à s’écrire,
Cat
Merci de votre passage, Catherine. Vos mots qui prolongent le texte, l’élargissent… Bel été et bon marché de la poésie.
C’est très beau. Il y a une tension, surtout avec cette longue phrase.
C’est gentil, merci, Jad, de votre oeil neuf qui est bienveillant et extérieur.
c’est vraiment très juste ce partage de corps, mémoire des sens et fulgurances de douleur-euphorie, la voix transfuge et protéiforme des narrations… dans ce que vous décrivez, je pense à des errances d’antan, Une Vie de Maupassant, Les Hauts de Hurlevent, Les oiseaux se cachent, le 3ème récit des Trois femmes puissantes, Khady… comme si destin de femme tournait en boucle, métempsychose forcée… la quête empêchée d’exaltations
heureusement, les temps bougent et revêches
prennent la tangente…
Merci tant chère Anne
rien ne vaut de partir du corps pour déployer …
Tu y es presque, chère Françoise…
La douleur toujours qui revient, s’ancre, jette ses vagues contre le parapet
je te reconnais bien là, chère Anne, dans ce texte…
Tes phrases si belles jusque dans les commentaires, Françoise. J’adore le parapet !