une idée du bonheur : Marc Perrone

1h30 avec Marc Perrone sur France Culture


Hier soir je partais de Romorantin (lecture de Daewoo à la médiathèque de la ville qui a vu fermer les 3 usines sur site qui avait créé la Renault Espace) à 22h30, comme d’habitude les CD prévus posés sur le siège à côté, une seule note d’accordéon diatonique en allumant l’autoradio, l’émission sur et avec Marc Perrone commençait juste, et je suis arrivé à Tours 1h30 plus tard juste sur le générique. La vieille nationale Vierzon-Tours pour une fois sans nulle impatience, sans doubler les camions. Juste dommage, dès qu’on est en cambrousse, que France-Culture grésille quand Skyrock ou tous les nuls genre Energie ont des relais bien plus puissants...

Marc Perrone je l’ai découvert à Bordeaux (au folk club la Courtepaille de Bègles où nous étions quelques dizaines à nous retrouver chaque vendredi soir), l’hiver 73-74. Je n’avais jamais entendu d’accordéon diatonique. Il raconte aussi, Marc Perrone, qu’un jour à la fête de l’Humanité, découvrant le diatonique cajun à une rangée, il avait été fasciné et s’était mis à courir tout Paris dès le lendemain en quête d’un diato. Moi ça m’avait fait pareil, et c’est très obscur ce genre de déclenchement. En fait, c’est Marc lui-même, quelques semaines plus tard, pour 850 francs je crois, qui me ramenait dans sa mince boîte de carton un Hohner Erica tout neuf en do-sol, deux rangées de boutons blancs, bois laqué noir et soufflé rouge.

Pendant les 6 ans qui suivent, je passerai beaucoup d’heures avec mes accordéons. Je n’ai jamais été doué ni brillant en musique (certains même liront ça avec un sourire, je sais je sais). Mais peut-être ça me suffit pour mes cavernes intérieures : elles s’entrouvrent. J’aurai un autre Hohner en ré-la que j’avais fait réaccorder à l’unisson. A Prague, en 79, je trouverai un surprenant 2 rangées 1/2 des années 50, avec des basses dédoublées à l’octave inférieure à condition de donner un petit coup de poignet gauche. Celui-ci ô comme je le regrette. En pratiquant, comme on le faisait à l’époque, un peu de collectage avec nos magnétos à cassettes auprès des quelques joueurs de "routine" que recelaient encore nos campagnes, je me procurerai un 2 rangées 1/2 en si bémol d’avant-guerre qui traînait inutilisé dans une ferme. Celui-ci plus tard m’a été demandé par un accordéoneux qui, en Vendée, jouait en binôme avec une clarinette (donc en si bémol aussi), normal que je m’en sépare : les instruments ont leur route propre. J’ai aussi trouvé en brocante un ancien instrument en ré, une seule rangée, du début de siècle, en vieux bois rouge.

Mais Marc Perrone a toujours été en avant. Dans ces années-là, en réinventant le folk, sa grammaire, sa recherche. Plus tard, en revenant au répertoire populaire urbain, celui de son enfance dans le mélange des gosses d’Aubervilliers (on a le même âge, je crois, avec Marc). Et puis en poussant l’instrument populaire, rustique, dans d’autres musiques : la folie de Lubat, la douceur racleuse et dérangeante de Portal, et le scat oral du si étonnant Minvielle.

C’est tout ça qu’on entend dans cette émission (Marc improvisant des musiques sur les classiques du film muet, un écho de la clarinette de Michel Portal, un tacatécatatéca de Minvielle etc). Mais surtout, c’est enregistré à Auber dans une école maternelle. Les gosses évidemment, à la radio, pour les voir il faut fermer les yeux. Mais faites-le, fermer les yeux, et vous les verrez en vrai. Marc est avec Marie-Odile Chantran bien sûr (eh, elle n’est pas nommée dans le générique fin : en tant que vieux pro de la radio, c’est réflexe la vérif !).

Marc, j’ai eu deux fois la chance, l’honneur, je sais pas : le plaisir simplement, de lire avec lui. Il a fallu le violenter un peu pour lui faire accepter qu’un auteur c’était pas un film muet, qu’on pouvait jouer un peu au Minvielle tous les deux... Une fois c’était une lecture Rabelais, et il rebondissait sur ce que je proposais d’imaginaire pour les îles fantastiques. Une autre fois, à Bobigny, en impro sur le Paysan de Paris d’Aragon, là on avait eu un moment de vrai impro, en particulier sur cet étonnant passage où Aragon joue du mot seul...

Bonheurs dont on se souvient ensuite comme de traversées douces, un peu magiques. Ou, pour moi, l’accomplissement de ce que l’accordéon ne m’a pas offert, mais qui était, ce soir-là, exactement le sentiment ressenti début 1974 en déballant l’accordéon neuf que Marc, avec son bon sourire de toujours, m’offrait comme un cadeau perso.

Dans la période où je bossais à mon premier bouquin, Sortie d’usine, j’ai eu des passes bizarres. Moins le fric que le spleen. Une fois j’ai passé une petite annonce Libé, et la semaine suivante mes 4 ou 5 accordéons disparaissaient pour un chèque symbolique. Sans doute que c’est bien, à chaque étape personnelle, de laisser en arrière de soi les incarnations matérielles de la précédente. Mon frangin Jacques Bon a ce même syndrome en accentué.

Donc, une semaine (merci Anne Brunel : quelques jours de rab ?) pour écouter cette heure et demie de Marc Perrone sur Culture (Béatrice Leca pour Surpris Par La Nuit)...

Sur le Net on peut aussi écouter un peu Marc ici, on peut aussi aller voir le site Bernard Lubat, et bien sûr écouter André Minvielle : tout ça c’est la famille voyez-vous... Enfin sur musicologie.org de Jean-Marc Warszawski un dossier diato (en attendant celui des éditions de l’Amourier, dont le fondateur, Jean Princivalle, était lui-même luthier de diatos...).

(dédié à Thibaud S., pour le petit air Minvielle qui le rejoindra à Manille !)


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1ère mise en ligne et dernière modification le 29 avril 2005
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