lire électrique : Emmanuel Rabu

Déplacements et Fiction & Cie au Lieu Unique de Nantes - avec vidéos


Une génération d’auteurs qui utilisent d’autres circuits, convoquent la musique et les arts plastiques. Et les récits qu’ils proposent, à nous la responsabilité de les accueillir (et d’abord les éditer). Comprendre que ces récits nous parviennent forcément depuis d’autres modes de perception et partage.

Dans la relation écriture-monde, le livre reste évidemment un élément central, mais non plus unique. Les lectures, les ateliers d’écriture, l’activité Internet aussi deviennent autant de vecteurs par lesquels nous confrontons notre travail à son dehors.

Thérèse Jolly, du Lieu Unique (que je remercie), avait proposé de nous recevoir à quatre, Bernard Comment, responsable de Fiction & Cie avec Emmanuel Rabu, et Pascale Petit pour la collection Déplacements. Les deux premiers livres de la collection démarrent bien (Pascale Petit, donc, et Béatrice Rilos) sortent à quelques dizaines chaque jour, le moral est bon. Et quelques beaux textes en provision. On a commencé par deux lectures, une de Manière d’entrer dans un cercle & d’en sortir, puis trois fragments de Tryphon Tournesol et Isidore Isou, via PowerBook et électronique.

La lecture en public a une histoire. Ceux d’entre nous qui mènent des ateliers d’écriture savent bien comme les déblocages passent aussi par le souffle, le corps. Et qu’il ne s’agit pas de théâtraliser des textes, mais de savoir ce que nous convoquons de l’oreille interne quand nous écrivons. Où sont les rythmes.

L’irruption de l’ordinateur est aussi à cet endroit-là. Tester la synthèse granulaire sur Max/MSP c’est une expérience fabuleuse (j’ai pu le faire via Kasper Toeplitz). Mais Max, le logiciel Ircam, est d’un maniement complexe, et si on s’en sert en public on a le nez rivé à l’écran, ce n’est pas l’idéal pour nous lecteurs.

L’enjeu de cette page, voilà : nous sommes en période d’apprentissage et mutation, dans un contexte qu’il faut construire en même temps que notre objet. Nous avons à prendre en charge nous-mêmes le déplacement de la question de l’auteur. Nous voilà au Lieu Unique de Nantes, lieu référence central pour l’art contemporain et les expériences trans-disciplinaires. Mais nous, auteurs littérature, on nous propose une table avec carafe d’eau sur estrade, et micros Shure 58 sur trépied : non, un auteur ça lit debout (c’est les acteurs, qui s’assoient pour lire). Le Shure 58 est le plus répandu des micros, il est parfait pour le bal, mais nul pour la voix parlée. Il nous faut au moins un Shure Beta 82 (aux Revues Parlées de Beaubourg, c’est ce qu’ils ont), ou — encore mieux, courant et abordable — un AKG 535. Attention : je ne dis pas ça pour l’équipe LU, mais juste comme indicateur de ce que nous avons globalement à faire prendre en compte.

Pour la sono, la voix exige la proximité. La norme actuelle, c’est la multidiffusion, des enceintes de faible puissance disposées autour et à l’arrière de la salle. Maintenant, c’est le même prix que les sonos traditionnelles qu’elles remplacent. Les salles avec enceintes de face, façon rock (ou, à LU, au plafond), assourdissant le premier rang et inaudibles plus loin, ce n’est pas pour la littérature.

Souvent, dans les bibliothèques ou salles qui n’ont pas de sono digne de ce nom, je préfère lire à voix nue, même si c’est en compagnie d’un musicien. Mais le micro et l’amplification c’est un instrument comme un autre, il convient à la matière de nos textes, à l’élan rythmique que nous souhaitons pour lire. Einstürzende Neubauten. (Je fais exprès une phrase avec juste les mots Einstürzende Neubauten, si vous ne comprenez pas ce n’est pas grave.)

Je me sers du même logiciel qu’Emmanuel Rabu, Live d’ableton.com, mais d’une façon un peu différente, 2 micros côte à côte, la voix directe sur celui de gauche, la voix retravaillée par l’ordi sur celui de droite, gardant le contrôle de la balance des deux via le convertisseur USB, et les boucles par switch au pied (via pédale Headrush) - on les aperçoit dans cette récente lecture Michaux. Et je me suis doté via eBay de vieux Sennheiser MD-441, les "rasoirs électriques", surnom dû à leur forme carrée, des studios ou de la télévision des années 70 (Zappa les utilise systématiquement, Dylan aussi dans Blood on the tracks). Quand je vais lire quelque part, je les apporte. Rien à voir, pour la voix, avec les Shure 58. Et j’y mets une bonnette, ça évite les plops : c’est du détail, mais ça compte.

Pascale Petit & Bernard Comment, avant de lire ensemble Manière d’entrer dans un cercle & d’en sortir.

Peu importe, chacun sa façon. L’important, qui justifie que je propose ces vidéos, c’est de faire savoir à nos partenaires que ce travail les concerne comme nous : c’est beaucoup moins une question d’équipement qu’une question d’image de l’auteur, où on l’installe, comment on l’éclaire. C’est une construction, une approche, quelque chose qui n’existera qu’ici, en ce lieu : une chorégraphie de voix. On se souvient des lieux qui vous le permettent, tiens, le Musée du temps à Besançon. Encore mieux si on nous invite avec quelqu’un qui se chargera spécialement de ce travail salle et scène, comme Thierry Balasse (voir vidéo).

Le livre d’Emmanuel Rabu : Tryphon Tournesol et Isidore Isou, vient d’être publié dans la collection Fiction & Cie au Seuil. Je vous laisse en découvrir trois passages, précédés d’un moment de réglage et préparation. L’atelier de la lecture. On peut rêver, d’ici quelques années, que les événements de cette sorte, dans les lieux qui les accueillent fréquemment, seront retransmis en streaming ou podcast vidéo. Tout va vite, mais pour l’instant, nous, blogs perso et technique commando, nous avons plus de souplesse et de vitesse que les institutions qui nous reçoivent (non non, je ne dis pas ça pour la BNF !).

Après les deux lectures, nous avons parlé édition, lecture de manuscrits, ce que nous cherchons et comment le défendre. La quatrième vidéo : Bernard Comment développe l’idée (avant que je filme) que "on ne devrait éditer que les livres dont personne ne veut", phrase un peu iconoclaste d’Alain Robbe-Grillet. Les compliments qu’il me fait à la fin ne sont pas justifiés, je les ai après réfutés. Auditoire professionnel : on aperçoit derrière lui Alain Girard, libraire de Vent d’Ouest, Bernard Martin, éditeur de Joca Seria et fondateur de Ecrivains en bord de mer, ainsi que Cathie Barreau, directrice de la Maison Gueffier, ateliers d’écriture du Manège à la Roche sur Yon.

C’est une prise toute simple, via mon appareil photo-numérique, bien sûr le son réel était bien meilleur, en particulier pendant la lecture d’Emmanuel.

Ensuite, assiette au bar de Lieu Unique, et la surprise d’y retrouver Marc Perrone, avant de reprendre l’autoroute...

D’autres ressources Emmanuel Rabu chez Philippe Boisnard ou avec Sylvain Courtoux dans Poetry Addiction, , recension par Dominik Jenvrey sur remue.net, voir aussi ici ("comment le rock se connecte à la littérature expérimentale"), ici dans confusion is text, et il a même un MySpace (pas moi). On incite fortement ceux qui ont étudié Tintin mais pas encore Rabu à l’écoute des vidéos 2 et 3. J’ajoute le livre à ma page librairie.


les vidéos

 réglages, essais : une lecture ça se prépare selon chaque lieu

 Emmanuel Rabu, extrait 1 : voix amplifiée sans effets, "Isidore Isou et le Supercolor Tryphonar"

 Emmanuel Rabu, extrait 2 : lecture avec effets électroniques, "pendant ce temps"

 Emmanuel Rabu, extrait 3 : lecture avec effets électroniques, "le téléphone sonne"

 Bernard Comment, "on ne devrait éditer que les livres dont personne ne veut"

 

Emmanuel Rabu, lecture avec ordinateur

responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 8 juin 2007
merci aux 3627 visiteurs qui ont consacré 1 minute au moins à cette page