frais de port et vente en ligne, la casse

d’une injonction discrète du Syndicat des libraires


Ajout du 13 juillet :
Passer par Lafeuille et les commentaires d’Hubert Guillaud pour lette collective des libraires sur question des frais de port, qui semble confirmer leur décision de retrait du marché de la vente en ligne. Question reste ouverte : rien de la littérature de création et de la situation des auteurs n’est mentionné dans cette lettre, signée par les meilleurs libraires — comment assurerons-nous la présence de nos livres dans l’intérieur des pratiques virtuelles, se juxtaposant de plus en plus aux pratiques de ville ?

Ajout du 24 juin :
3 semaines après la parution de cet article, Ombres Blanches et Sauramps ont à leur tour décidé de supprimer leur clause de port gratuit, tandis que le principal acteur de la vente en ligne continue de le proposer. La stratégie judiciaire du SLF inclut donc désormais ce risque de sabordage volontaire du réseau de vente en ligne mis en place par les libraires indépendants.
La décision de privilégier pour une commande Internet un vrai libraire ne tient donc plus qu’à un seul avantage : la disponibilité d’un stock "travaillé", pointu et sélectif, qui permet l’envoi en 48h de livres en général absents des entrepôts d’amazon, où le délai est plus long. On continuera d’observer l’évolution de tout cela, avec quelque anxiété évidemment. Notre soutien reste acquis, mais le recours à un engagement militant du consommateur est disproportionné dès lors que les tarifs (les mastodontes de la vente en ligne ont droit à des prix dumping) deviennent ainsi ddhédibitoires.
Pour la disponibilité effective de nos livres, dans le domaine de la littérature de création et ses conditions commerciales atypiques, la question est de plus en plus vitale : et les auteurs ont été complètement évincés de tout dialogue et concertation sur ces questions.

Ajout du 19 juin :
Ci-dessous une réponse de Charles Kermarec, directeur de la librairie Dialogues (Brest) [1], à ce billet. J’en prends acte évidemment, et m’excuse pour les expressions plus belle librairie puisque je ne parle que de celles que je connais ! Néanmoins, ce dont témoigne Charles Kermarec pour les ventes en lignes de Dialogues confirme l’inquiétude dont je faisais état dans ce billet initialement publié le 4 juin. On peut d’ailleurs consulter sur le site de Dialogues à combien s’élèvent ces frais de port via La Poste devenue entreprise commerciale.


On sait qu’une décision de justice a donné raison au Syndicat des libraires (lire ci-dessous ce communiqué [2]) contre le vendeur en ligne alapage, considérant que les frais de port gratuits étaient une entorse à la loi Lang sur le prix unique du livre.

On s’en félicite tous, évidemment. C’est un frein au moins symbolique au libéralisme effrené que 53% de nos compatriotes ont décidé d’ériger en loi pour tout le pays. Surtout, en mettant une frontière aux marchands "froids", on peut ensemble continuer à tenter d’élaborer des pratiques alternatives de qualité, et les inventer chacun depuis son point spécifique d’activité : c’est comme ça que j’interprète le démarrage de ma libraire tiers livre et la façon dont elle se solidifie (hors toute ristourne, sauf droits d’auteur sur mes propres livres [3]), juste quelques livres choisis, renouvelés chaque semaine, sur la base du fonds effectif d’un grand libraire.

Les trois mastodontes de la vente en ligne, amazon, alapage et fnac (le premier étant à lui seul gros comme les deux autres) ont décidé pour l’instant de passer outre [4] et continuer.

Le Syndicat des libraires vient de lancer donc cette injonction à ses propres adhérents de cesser, sous menace de justice, leur prestation "frais de port gratuits à partir de", somme variant en général de 20 euros (Sauramps, Mollat) à 30 euros (Ombres Blanches : mais c’est le prix de 2 livres).

A noter aussi que jamais personne côté syndicat librairie ne s’en prend à la façon dont des prescripteurs essentiels, France Culture, Télérama, N Obs etc., installent des liens directs vers alapage ou fnac : ignorance délibérée du maillon libraire. Même si le concept de chaîne du livre, avec l’aberration des offices, du pilon des retours, le poids écrasant des diffuseurs assurant à quelques groupes leur rentabilité, est un concept probablement obsolète dans les logiques réseaux, où chaque point est potentiellement à lui seul la totalité de cette chaîne, la relation directe des auteurs et des libraires, ceux qui font ce métier "debout", travail de proximité et de conseil, trouve des formes neuves d’affirmation : lectures en librairie, blogs de libraire, association sites et librairie qui supposent plein soutien et acte volontaire des lecteurs, mais tout cela est fragile, balbutiant.

A qui est destinée l’injonction du SLF, sur laquelle m’alerte un ami libraire parisien ? (à noter que je ne dois pas être le seul surpris, vu la discrétion autour de ce communiqué [5] , alors que depuis 7 mois ces débats et questions sont sans cesse évoquées — voir archives de la Feuille pour synthèse).

Réponse : à l’ensemble des professionnels de la vente en ligne, donc, hors les procès en cours avec les trois mastodontes, aux cinq (mais pas plus) libraires indépendants qui ont, contre vents et marées, installé ces dernières années, investissement considérable par rapport à des ressources en flux tendu, des sites de vente en ligne ?

Il s’agit de Mollat, Decitre, Sauramps, Ombres Blanches, Dialogues. Peut-être j’en oublie, je ne suis pas spécialiste. Il semble pourtant certain que ces cinq-là, en vente cumulée, n’atteignent pas le volume de fnac.com, le plus petit des 3 mastodontes, pour les livres.

Je rappelle que la vente en ligne correspond pour l’instant à 4% du chiffre de l’édition, mais sur une pente croissante (en Allemagne dans les 9%, aux USA 14%), et que les libraires indépendants représentent environ 30% du marché de l’édition : sauf que, dans les 70% restants, chaînes culturelles notamment, nous-mêmes, littérature de création, sommes simplement évincés — loi généralisée du Top 50... Pour nous, auteurs du domaine contemporain, si le pacte de fraternité avec les libraires est scellé depuis longtemps, les contraintes de rotation de stocks, la place de plus en plus réduite de la littérature dans la masse des livres "produits", tout cela rend de plus en plus vital notre présence conjointe sur Internet. Et l’accès à nos livres indépendamment de leur présence chez les libraires de pointe : nos blogs sont des armes de guerre, on voit qu’il ne s’agit pas d’armes lourdes dans le fouillis actuel du monde en général, et du monde virtuel en particulier.

Si je comprends donc bien, le SLF demande à Ombres Blanches, Sauramps, Mollat et Dialogues qui sont parmi les plus belles librairies de notre pays, en tout cas les plus innovantes, celles qui représentent le plus pour l’existence même de notre littérature, de renoncer aux frais de port gratuits à partir de 20 ou 30 euros (déjà, ils ne pratiquent pas les 5% de dumping de fnac et amazon), pour montrer leur bonne foi, leur bonne volonté, leur pureté et innocence face au monstre amazon.

Je n’ai aucune idée de quoi représente pour ces cinq libraires le chiffre de vente en ligne. C’est à perte, évidemment. C’est une notion de service. C’est prendre pied maintenant pour survivre plus tard. C’est lutter contre une désertification de fait : combien de villes où la littérature de création n’est pas présente ? Si ces cinq sites de vente en ligne cessaient de proposer une prestation de niveau égal à celle des mastodontes, du jour au lendemain c’est balayé.

Le SLF demande donc à ses propres adhérents de saborder leur présence virtuelle, en les mettant sur le même pied que le commerce froid d’amazon ? Manoeuvre interne dilatoire pour promouvoir une armature Internet qui n’en finit pas de jamais naître ? Saborder les tentatives actuelles, par des libraires expérimentés, sur le terrain de leur ville, à ce travail quotidien et opiniâtre de soutenir la création littéraire, à intervenir dans la lutte des idées, et que ça puisse trouver prolongement sur Internet, via sites en ligne basés sur disponibilité réelle du stock (c’est la ligne de rupture technique essentielle avec amazon, alapage et fnac : un stock lui-même construit selon l’engagement spécifique du libraire), cela contribuerait à la stratégie judiciaire de limiter la domination des 3 "dumpers" ?

Je n’interviens pas dans la question. Elle est vitale pour nous, les auteurs. Nous assistons à ces combats de titan qui nous dépassent, à la valse des maisons d’édition (tiens, Maren Sell qui ferme, après le Temps qu’il fait). J’aimerais seulement qu’on m’explique ce qui se passe chez eux.

En attendant, n’hésitez pas à commander le Macé sur Nerval via ma toute petite librairie pour piocher en ligne dans les rayons d’Ombres Blanches, et y ajouter mon Paysage Fer dont je serais bien curieux de savoir combien d’exemplaires sont sur les étagères des Fnac, Virgin, hors du soutien de quelques libraires — avec ces deux livres, le port gratuit à 30 euros est considéré comme viable par le libraire : toute la question est là.

[1Cher François Bon,

Tout d’abord et avant tout merci mille fois de votre soutien sans cesse renouvelé aux libraires.

En second lieu puisque rien de ce que vous écrivez n’est couché au hasard sur le papier permettez-moi de rectifier l’ordre de vos préséances.
1°) S’agissant des sites de libraires indépendants, les premiers par ordre d’apparition sont ceux de Pierre Decitre et de la librairie dialogues. Ceux de Mollat, Sauramps et Ombres Blanches sont venus quelques années après.
C’est, en effet, pour nous, vous avez raison de le souligner, un service non rentable.
2°) Accessoirement encore, et puisque je suis dans le registre de l’outrecuidance : l’opinion commune des auteurs pour ce qui est des librairies les plus belles de France c’est généralement d’abord la librairie dialogues et Kleber ; puis les autres ensuite. Je vous laisse le soin de départager celles du sud.

Passons à l’essentiel.
Le juge a décidé qu’adresser des ouvrages sans facturer les frais de port constitue une entorse à la loi Lang. Jusqu’à décision contraire c’est donc la jurisprudence à laquelle chacun doit se plier.
Nul besoin pour cela d’une injonction du SLF.
On ne peut pas à la fois défendre la loi Lang et vouloir délibérément se situer hors la loi s’agissant des frais de port, opter pour une vertu à la carte en quelque sorte. Donc, pour ce qui la concerne, la librairie dialogues s’est pliée à la décision de justice dès qu’elle a été connue. Et sans méconnaître le risque que vous soulignez d’une désaffection brutale des internautes. Pour l’heure le nombre des commandes qui nous sont adressées a diminué de moitié.

On a la société qu’on veut avoir. Si les internautes décident, pour économiser quelques euros de frais de port, de tuer le site de la librairie dialogues… eh bien ils auront Amazon.
Qui ne mérite pas une ligne de commentaire en sus du vôtre.

Bien à vous, et avec mes remerciements renouvelés.

Charles Kermarec (reçu ce mardi 19 juin)

[2Le 23 mai 2007 a été jugé le contentieux qui oppose le Syndicat de la Librairie Française et Alapage. Le SLF a notamment eu gain de cause sur le sujet très important de la gratuité des frais de port. La cour d’appel a confirmé le premier jugement : offrir le port gratuit pour une vente par correspondance constitue une vente à prime, formellement interdite par l’article 6 de la loi Lang sur le prix unique du livre.
Les juges ont ainsi clairement réaffirmé que les frais de port sont à la charge de l’acheteur.
Ceci maintient l’égalité entre détaillants et le respect du prix unique du livre : seuls des grands groupes financiers pouvaient fonctionner à perte en offrant le port, ce qui représente de 30 % à plus de 100 % du prix d’un livre, et était un moyen d’empêcher les librairies traditionnelles de continuer leur service de choix, de diversité, de conseil et de proximité, essentiel pour la promotion du livre et de la lecture et pour l’accès de tous à la culture aux mêmes conditions.
Le SLF est en contentieux avec d’autres vendeurs en ligne sur ce même sujet, et il rappelle que son action vise à ce que la loi relative au prix du livre soit respectée dans toutes ses dispositions ; qu’il ne peut en être fait un usage partiel, sauf à contester la loi.
Il appelle l’ensemble des professionnels du livre à soutenir son action, et à défendre avec lui la loi qui donne au livre une économie raisonnée respectueuse de ses acteurs comme de leurs clients, garante de la diversité et de la qualité de la création, contre les tenants du dumping et de la conquête de parts de marchés par des moyens économiques réservés aux enseignes des grands groupes.
Dans les jours qui viennent, le SLF rappellera à l’ensemble des acteurs de la vente en ligne que les dispositions légales imposent la facturation du port pour toute transaction concernant le livre, et ce quel que soit le montant des achats facturés.
Il se réserve le droit de faire respecter ces dispositions, le cas échéant, devant les tribunaux.
Voir site du SLF pour plus.

[3à noter que continue de se répandre le modèle "partenaire" d’amazon, sans que plus personne ne s’en préoccupe, avec ristourne de 7%, voir un exemple — outil technique ET économique que nos amis libraires ne semblent pas disposés à promouvoir.

[4A terme, d’ailleurs, de même façon que les éditeurs envoient leurs services de presse par camion à Bruxelles pour les reposter depuis là-bas, où les tarifs postaux sont moins délirants que dans les PTT en voie de privatisation, on peut supposer qu’amazon installera son entrepôt livres à Waterloo plutôt qu’Orléans.

[5je l’ai trouvé ici et ici mais apparemment c’est tout ?


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1ère mise en ligne et dernière modification le 5 juin 2007
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