escalade non anesthésiée : Gina Pane à Beaubourg

la semaine en images


Lundi soir, voulu transférer ma base sql sur serveur 4.3, et plantage. Deux jours ces pages affichant tristement « accès impossible ». Essayé plein de manips, mais le problème venait du serveur, ça permet de réfléchir à l’utilité de ces pages, et de la non-conséquence totale d’ailleurs de leur absence. Si on met forum, ou si on préfère faire état une fois par semaine des discussions parallèles par mail ? Et où positionner le curseur de ce qu’on dit et ce qu’on ne dit pas, la vie privée forcément poreuse, même si la frontière en est ici positionnée bien différemment que dans plusieurs blogs amis. Ou autre version : ce qu’on place ici d’affects, de mots, d’images, d’expériences, de quoi cela nous prive pour le livre en cours ou les tentatives forcément solitaires et obscures de l’écriture ? Et à quoi ou qui prend-on le temps de l’écran ?

En tout cas, il n’y aura pas d’images de telle journée cahoteuse, à ne rien faire que rester chez soi moitié assommé. Il n’y aura pas d’images de la préparation des 2 heures du cours Baudelaire de mardi, la quantité incroyable de livres sur Baudelaire (achetés systématiquement depuis 20 ans), descendus des étagères, qu’ils tiennent la relecture ou pas, et finalement s’en être tenu à relire - mais ligne à ligne - le Baudelaire de Walter Benjamin ("le brouillard comme compréhension du monde"), plus des extraits de sa Correspondance avec Adorno, et aussi du Nerval. Le compagnonnage de Nerval renvoyant par différence à cet aspect de Baudelaire qui m’était plus neuf, l’idée de l’écrivain et du sujet, de l’énonciateur des poésies, travail qu’amorce évidemment Benjamin mais qui prenait un autre accent là dans ce cours, après Proust et Kafka, Artaud, Ponge et Sarraute.

Un événement personnel notable comme d’avoir changé le jeu de cordes de ma Gibson (Elixir acoustic light gauge et non pas ultra-light cette fois) ne figurera pas dans le blog, pas plus que des deux rendez-vous de mardi et vendredi, celui de vendredi en 12 minutes chrono réglant à peu près la vie pour les 8 mois à venir (en tout cas pour ce qui est de faire reparaître Tous les mots sont adultes dans sa nouvelle version refondue en septembre et « 70 » peut-être en janvier - je n’en parlerai pas souvent, mais il était bien impressionnant, moi qui n’en ai jamais fait un seul tirage papier, le manus de 387 pages dans son état actuel sur le bureau d’Olivier Bétourné). Ça va donc encore durer au moins 6 mois, les post-it des textes en retard parce qu’au lieu de les faire on se remet à « 70 », les courriers à répondre qu’on met dans un dossier attente du mail parce qu’on doit rester concentré sur « 70 » encore plus depuis que ça parle de bien autre chose que du Led Zep, les invitations qu’on décline parce que c’est vrai que ça tire dans la barbaque, mais parce qu’on voudrait bien, pour « 70 », Led Zep et ce qui tourne autour, aller faire cet été un tour à Redditch près Birmingham et passer 3 jours à proximité de la librairie Helter Skelter de Denmark Street ou pourquoi pas si on avait 15 ans de moins s’en aller vivre carrément à Londres ou en rêver. Bon, il y aura New York et Chicago en octobre, si tout va bien : les finitions du Led Zep se feront donc sur leurs traces et comme eux en tournée (contenu peut-être un peu différent ?!).

On peut cependant faire image des récurrences biographiques : le train Saint-Lazare Argenteuil, et que j’y fais, depuis la même fenêtre du train, la même suite de photos, dont une sur l’enseigne Hitachi à la sortie du périph côté Levallois, à cause des Nuits d’Hitachi de Sylvie Gracia, paru il y a bien 6 ans maintenant mais qui est un grand livre, voir d’autre part le travail de Sylvie Gracia en atelier d’écriture. L’arrivée au lycée Fernand-Léger, et dans la fausse chambre d’hôpital le mannequin d’apprentissage des soins lourds un peu délaissé aujourd’hui. Le choc positif et le bonheur qu’est devenue cette année chaque séance de ces tournages (jeudi, l’atelier sur W de Perec avec les secondes de Christine Eschenbrenner, vendredi le compte rendu de stage par les BEP sanitaire et social de Laurence Sabourin, cette conversation ébauchée entre Dougo, Antonella et les autres sur la toilette des morts et comment ne pas être gênée à 17 ans quand on assiste une personne invalide dans sa douche...). Récurrents aussi, mes clichés de la centrale de Gennevilliers. L’an dernier pour ce monstre désert et inhabité, scellé dans son silence. Depuis juillet dernier pour ces pelleteuses qui n’en finissent pas de la ronger. J’avais dit il y a quelque temps que je ne la photographierais plus. Elle reste magnifique dans sa démolition même (avec un attachement particulier pour le quai de chargement sur la Seine, qui ressemble tant à celui du défunt Billancourt).

Dans cette semaine il y a eu aussi des ateliers d’écriture. Une nouvelle séance à l’IUFM Paris avec Jean-Pierre Preudhomme. Un petit tour en arrivant dans la salle des profs avec ce délicieux Mac acidulé pour le Net libre accès. On apprend à se connaître, l’ambiance devient celle d’un vrai atelier. Dommage que le format alloué soit si bref. On a migré dans une salle de musique, au haut plafond et avec de l’espace. On ne sert pas des pianos, mais on a de la place pour notre grand cercle de voix. Atelier aussi, deux semaines consécutives, à Normale Sup. Là, au moment où j’écris, j’ai dans mon sac les deux cents grammes d’un tout petit livre bref que j’utilise pour la première fois en atelier : Charles Juliet, Rencontres avec Samuel Beckett, plus un petit montage avec les différentes techniques que Charles, pour chaque phrase du silencieux Beckett, appelle et démultiplie. Un beau cadeau, pour l’animateur d’atelier, que ce groupe prêt à toutes les inventions, à condition qu’on lui propose le risque funambule qui lui convient.

Je suis allé à l’expo Gina Pane de Beaubourg. Je travaille depuis 3 ans sur l’œuvre de GP, un travail qui a déclenché « 70 », fresque, roman, accumulations, plus tâche autobiographique dont je ne suis pas à bout. Si j’avais découvert GP via cette modeste expo au 4ème étage de Beaubourg, je ne sais pas si j’aurais eu ce choc déclencheur éprouvé il y a 3 ans au CapC Bordeaux, à Enfoncement d’un rayon de soleil et au Je de Bruges, qui m’avait lancé dans ce travail. Dans l’expo Beaubourg, on nous fait parcourir les principales directions de GP chaque fois par une seule œuvre, du coup on perd la cohérence de l’ensemble qui naissait de la répétition, de l’intensité. Cependant il y a l’échelle métallique de son Escalade non anesthésiée de 1973, en réponse et provocation à ce mot escalade dans la guerre du Vietnam. Je m’approche, mets la main sur les piques de métal et laisse lentement tout le poids de mon corps tirer lentement sur la paume. J’essaye que personne à côté ne s’en aperçoive, et de toute façon il n’y a pas de gardien quand, sur le mur, c’est juste une échelle avec des pointes métalliques. Je retire la main : les piques du fer ont fait deux entailles fines, où vient le sang. Une semaine plus tard, j’en ai encore la sensation, et sur la paume les stigmates. Dans mon travail sur et avec Gina Pane, il me fallait cette expérience, je suis venu à Beaubourg pour cela (sinon, les livres me suffisent). Mais ce partage via incision (parce qu’il s’agit aussi de l’incision de décembre, celle qui ne me laisse encore qu’un moitié de moi, ou c’est l’impression que j’ai, et le double de poids, dans les journées lourdes, les Japonaises derrière moi qui essayaient de comprendre pourquoi Gina Pane ne se sont aperçues de rien) ouvre une nouvelle porte dans les 70 pièces du livre « 70 », en contrepoint aux 4 de Led Zep et exactement synchrone à eux.

Le soir, chaque soir, j’ai relu Saint-Simon. Désolé, pas sorti. Je fais ça depuis plusieurs années. Ce n’est pas une discipline. C’est ce qui permet de tenir, de rester intérieurement à jour dans la langue : avoir le soir l’heure de Saint-Simon. J’en ferai un journal spécial un de ces quatre. Quelquefois j’ai du remords : on se fait la liste des expos loupées, des pièces de théâtre pas vues (mais j’aime de moins en moins l’idée même du théâtre), même des livres non lus et pourtant il y a ce qui aurait, il y a quelques siècles, semblé si élémentaire : une durée régulière accordée à la lecture, en harmonie avec tel rouage du rythme des heures. D’ailleurs, j’y retourne.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 1er avril 2005
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