Ensba, 7 : Ponge

Beaux-Arts Paris, cours littérature.


Deux vies parallèles, à distance, mais avec la langue comme objectif, matériau, deux insolences symétriques et un même goût de l’insolence face au monde : plus j’ai avancé la semaine dernière à relire Francis Ponge et Nathalie Sarraute, plus le parallèle me semblait tenable, et décalait l’un et l’autre des approches habituelles.

Mais voilà, le continent Ponge ne se laisse pas réduire, si on met le petit doigt dans son procès logique, d’entre les choses et la langue, et toutes les étapes qu’il y développe comme un prisme, des premiers textes d’accompagnement au Parti pris des choses jusqu’à l’ultime recueil Fabrique de littérature.

Encore, même si je crois être resté proche du centre nerveux de sa démarche poétique, on n’a fait qu’effleurer bien des faces que prend ce développement, sur cinquante ans d’écriture.

La semaine prochaine, selon à mon programme initial c’était deux séances que j’intitulais, dans ma tête, "fondations". Fondations du moderne, bien sûr. D’un côté, via Baudelaire (la langue, via Poe, et la ville, via Walter Benjamin), de l’autre côté, via Balzac et la représentation du monde (en lisant ensemble La Grande Bretèche, Adieu et La Fille aux yeux d’or).

On va leur demander d’attendre une semaine, à Baudelaire et Balzac, le temps qu’on visite quand même l’atelier de Nathalie Sarraute, "Disent les imbéciles..." par exemple, est un livre nécessaire, comme son Ere du soupçon d’un point de vue plus théorique. Plus les mois s’accumulent, plus les 1200 pages qu’elle nous laisse font travail, vers Artaud ou Proust, très lentement, parce qu’elle ne se laisse pas lire ni deviner facilement, même Claude Simon depuis tous ces mois j’ai du mal, il devient à côté d’elle rigide et massif, tandis que Julien Gracq continue allègrement de nous saluer sur le chemin voisin. Sarraute, il faut commencer par Entre la vie et la mort, cette réflexion où parle silencieusement quelqu’un qui écrit un livre, n’aime pas la façon dont on lui parle de ses précédents livres, réfléchit sur ce qu’on abandonne de vie dans l’art. Elle a 71 ans, elle entame seulement ce qui va être le coeur central de son oeuvre, un mince livre tous les 4 ans, pendant 20 ans. Et de la fascination qu’on peut avoir pour ce chemin, relire les éclats vivants de Tropismes, 1937, elle a donc 37 ans, été une des premières femmes, à 22 ans, à escalader le Mont-Blanc, à se battre vers 932 pour, en tant que femme, avoir droit de plaider. La seule erreur de la haute vie de Nathalie Sarraute fut cette fichue photo avec ceux qu’on nommera le nouveau roman, étiquette qu’elle se ramasse sans rien avoir écrit qui la justifie, hors ce travail de subversion intelligente sur la notion de personnage, qu’elle récuse. Elle aurait mieux fait de se faire photographier avec Francis Ponge, et s’intituler tous les deux les à côté de.

Quant à Walter Benjamin lecteur de Baudelaire, à l’invention de la ville dans l’écriture, comme il s’agit ici d’un journal perso, sans doute c’est lié au retour brutal du soleil, un vieux rêve serait qu’on se retrouve sur la tombe de Baudelaire pour parler de lui pendant deux heures, mais en sa présence. Parler jusqu’à faire se lever la pierre...

Du parallèle Ponge-Sarraute, ce que j’écrivais avant le cours :

Quel rapport avec Sarraute et Ponge ? D’un côté, que ces choses qui définissent la matière et l’ordre du monde, on peut s’en saisir par les mots, et reconstituer un ordre vivant et subversif de langue en amont de leur statut de choses muettes. Là on parlera de Ponge, et évidemment on croisera par exemple Christian Boltanski. De l’autre côté, qu’on peut braquer les mots sur la langue elle-même, et c’est la langue qui devient chose, ou bien ce qui est réifié dans l’emploi de la langue, et la même subversion vive, quand bien même elle ne considèrerait que ces échos d’un bruit du monde figé, qui vous parviendrait, là on sera chez Nathalie Sarraute, une très grande, pas lue comme elle pourrait et devrait l’être.

Pour l’un comme pour l’autre, dont je ne suppose pas qu’ils se soient jamais fréquentés, le mot sensation au centre de la visée ou de l’emprise esthétique. Pour l’un comme pour l’autre, que la langue devient monument dressé d’elle-même, faisant matière ou contenu de son propre chemin vers sa forme, et que l’appui sur le réifié, le figé, qu’il soit dans les choses ou dans les mots eux-mêmes, est prétexte à trouer la langue et la réouvrir, nous la réoffrir dans un chemin.

Pour Ponge le mot rage, pour Sarraute, à plus de 80 ans, cette envie de les secouer... Comme la semaine dernière avec Koltès, l’envie avec vous toute simple de visiter un atelier, dans ses obstacles, ses lenteurs ou ses découvertes. Avec si possible de l’estime, de l’éloge. Et oublier tout le reste.

Voilà, ça va me nettoyer, de parler de Sarraute et Ponge.

Et la preuve qu’on n’a fait qu’effleurer Ponge, c’est qu’on n’a même pas parlé de Christian Boltanski. Mais vous le connaissez, donc ce n’est pas grave...

Liens : un dossier Sarraute - un texte de Francis Ponge

Et photo : maintenant que je commence à me repérer, et surtout que je passe progressivement plus de temps dans l’école, j’explore les escaliers. Ainsi l’atelier Alberola, ainsi celui d’Annette Messager. Et bien sûr le LAB : libre accès bureautique (derrière la haute porte marron éclairée), qui a l’élégance de fournir autant de Mac (à droite) que de PC (à gauche). Plus le groupe écriture, en plein travail...


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1ère mise en ligne et dernière modification le 15 mars 2005
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