#techniques #05 | mâcher, remâcher, les variations Wajsbrot

un cycle pour développer les syntaxes et le récit


 

mâcher, remâcher, les variations Wajsbrot


J’ai déjà parlé de ce livre majeur, où la narratrice de Cécile Wajsbrot s’isole pour une sorte de résidence d’écriture à Dresde, en Allemagne anciennement de l’Est, pour (re)traduire un monument littéraire, le To the lighthouse de Virginia Woolf.

Voir ici vidéo de présentation : Cécile Wajsbrot au bruit du temps, et ici un précédent atelier, mais sur une autre approche, celle de la journée d’écriture.

Dans ce livre, alternant avec des remémorations (ou des portraits) de villes, comme des expérimentations à même la peau du livre de ce qu’elle trouve dans l’approche poétique de Virginia Woolf, affrontant le destin d’une famille à travers les dix ans d’une maison abandonnée où gagne la ruine.

Ce qui est formidable et passionnant dans ce livre, quelque chose de littéralement funambule, c’est la façon de Cécile Wajsbrot de coller plein texte des phrases bascules de Virginia Woolf, d’en proposer une première traduction comme à main levée, puis revenir sur la syntaxe, le rythme, les associations d’idées, la machinerie même du livre, pour proposer une deuxième version, puis une troisième.

Ce faisant, on n’a pas affaire à une critique du processus de traduction, ni à un traité de grammaire, mais simplement — comme par vagues — renvoyer encore et encore la phrase française à ce qu’elle manque. On n’y arrivera pas. Woolf est trop tranchante, sa poésie quasi mallarméenne, même dans le charroi du roman. Mais, en nous maintenant à flot, à force de main et mots, dans la confrontation à la phrase-source, se dessine sous le texte ce à quoi pourrait parvenir notre propre texte, et qu’il manquera toujours.

Alors, en faire proposition ? Non pas se lancer nous-mêmes dans un exercice de traduction ou retraduction (encore qu’on l’avait fait dans le cycle 40 exercices pour le carnet d’écrivain, à partir d’une phrase de Kafka dans ses différentes éditions françaises, et sans du tout le besoin d’être germaniste).

J’ai choisi une séquence où, dans les quatre exemples successifs, Cécile Wajsbrot se saisit d’une phrase de Virginia Woolf (voir les extraits téléchargeables) concernant une bascule de saison : le surgissement de l’avant-printemps, la transition du printemps à l’été, les soirs de l’été, et l’été implacable).

Je vous propose, selon vos propres souvenirs, en remontant même à l’enfance, ou bien simplement à la période en cours, de vous concentrer sur une de ces sensations émanant d’une transition de saison, et l’écrire : trois lignes suffisent. Essayez quand même que ce ne soit pas un vers ou un triptyque, mais vraiment une phrase de prose. On est dans le roman, travail sur le.

Et cette phrase une fois venue, on la garde telle quelle, mais c’est elle qu’on va d’abord questionner, puis remâcher : ce qu’on manque, on le désigne. Ce qu’on veut tenter pour mieux, on le désigne. Et s’écrit la deuxième version. Puis recommencer pour la troisième.

On ne produit pas une succession d’états de la phrase pour attraper la sensation qui en est l’origine. On mâche et on remâche pour maintenir le lecteur, tout au long des trois variations et deux commentaires, dans le vis-à-vis le plus proche de cette sensation, l’évoquer, la faire exister tout le long de ce qu’on tente de mâcher et remâcher.

Quelque chose donc de bien différent d’une idée simple du « retravail », et s’apparente bien plus à la séquence des 14 poiriers en fleurs chez Marcel Proust.

Et ça vaut le coup de le tenter.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 7 mai 2023
merci aux 188 visiteurs qui ont consacré 1 minute au moins à cette page