#photofictions #06 | Daido Moriyama, la photo en chien des villes

la photographie à bout de bras et mobile, à quel récit cela ouvre ?


 


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#photofictions #06 | Daido Moriyama, la photo en chien des villes


Une des marques capitales de Robert Frank et William Klein (voir #photofictions #05) à l’histoire de la photographie, c’est l’appareil tenu à bout de bras et la photographie déclenchée sans cadre. C’est ce qui a fondé l’approche spécifique de Daido Moriyama, né à Osaka en 1930, dans une exploration obstinée des villes, Tokyo bien sûr, mais Mexico, New York, Londres : plus de 40 livres publiés, et surtout la prise en charge indépendante de ses publications avec son propre magazine, Record et son propre site, et c’est beaucoup de leçons pour nous auteurs dans le contexte d’aujourd’hui.

Ce qui m’a déclenché cette proposition, que j’attendais depuis si longtemps d’explorer, c’est une série parmi ses photos de Londres : passant devant les intérieurs de boutiques, la porte ouverte, se pencher presque au ras du sol et prendre la photo sans s’arrêter.

Devenons-nous ainsi voyeur de ce que la ville refuserait sinon de donner à voir ? Explorons plutôt depuis le parti-pris inverse : à chaque opportunité technique de champ élargi du visuel, la ville nous offre une bribe de représentation supplémentaire, ouvrant bien sûr à elle-même, mais surtout à nous-mêmes dans la ville, à nous-mêmes dans notre relation aux autres par la communauté que nous constituons, et que la ville matérialise.

La proposition s’énonce donc ainsi : si, par le récit, nous inventons d’autres images de cette matérialisation propre à chacun·e, urbaine ou pas, familière ou lointaine, à quoi ressemble cette écriture ?

Je cite aussi l’exemple de cet étudiant de l’école d’arts Cergy, dans les temps lointains où j’y venais chaque semaine, et la résistance qu’avait induit, collègues et jury, sa soutenance de diplôme : un travail qui peu à peu s’était centré sur ces techniques, qu’en noir et blanc Moriyama a poussé à une sorte de légende définitive. Travailler avec un appareil argentique, réglages définis à l’avance, et identifier à l’avance ce qu’on veut photographier : cela veut dire qu’on photographiera en mouvement, à l’instant même où s’effectuera la rencontre, qu’il n’y aura même pas d’arrêt même provisoire du photographe. Alors on peut traverser le périph, s’immerger dans une boîte de nuit, une manif, s’engouffrer dans la nuit de la ville. Les photos seront obliques, ce qu’on trouvera dans le cadre (c’était déjà Moriyama) sera encombré ou partiellement flou, et — en numérique — une photo pleine de « bruit », ce grain des photographies sur lesquelles autrefois à la Fnac on vous collait une étiquette non facturée. Ce que montrait cet étudiant de sa propre génération, là où sinon jamais on n’aurait pu faire trace, si c’était aussi prenant — photos de travers, flous de bougés, grain de la nuit, halos et relfets —, sa pellicule (technique majoritaire en école d’arts) ensuite scannée et les énormes fichiers produits repris sur Photoshop, c’était bien pour ce qui se rejouait là de l’invention de la photographie depuis Le Gray : ce qui est montré, on ne l’avait jamais vu, c’est la part invisible de notre présent.

La proposition s’énonce donc ainsi, bis : il ne s’agit pas d’écrire sur des photos existantes, mais bien d’inventer cinq photographies, cinq rectangles de texte (voir l’extrait de Claude Simon, Histoire, eh oui, sans ponctuation... et on recommande !), mais d’inventer ces images potentielles, ces images non faites en convoquant mentalement ce qu’a inventé Daido Moriyama, dans sa pratique décidée de marche continue, de trajet arbitraire et, dit-il stupide, comme le chien errant, ce chien des villes dont il a fait son emblème : photographies faites de tout près et sans viser, en cassant la contrainte de cadre, en immergeant l’appareil dans ce qu’il verra et immobilisera là où nous on n’a pas le droit, ni de venir si près, ni de s’arrêter.

Faites m’en cinq. Mais du jamais vu.

Et bonnes écritures.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 9 octobre 2022
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