écrire-film | proposition « bande-son », les contributions

les cycles atelier d’écriture de Tiers Livre


 

bruits & voix, vos contributions


— démarreur ; les cylindres éclatent ; poignée des gaz d’avant en arrière ; béquille défaite (on quitte l’hôpital) ; bruit du vent sur la visière et dans ses interstices ; tes mains m’enserrent, crissent sur mon blouson de cuir Schott (j’avale) ; on dépasse les petits ronrons des voitures minuscules ; une ambulance nous croise : pin-pon ringard, même pas de sirène américaine.

— l’autoroute défile à très grande vitesse : claquement du sélecteur s’il le faut ; tu me parles (on a des micros pour nous relier, même si les ondes mentales nous suffisent), j’entends « Je t’aime » derrière ma tête ; je file au milieu des files, je klaxonne pour leur faire peur ; ils se rangent prudemment sur le côté ; je regarde dans les rétros, tu n’est pas dans le miroir.

— le soir tombe, il fait un bruit imperceptible, comme un rideau de velours bleu sombre ; il coulisse sans grincements ; les phares sont allumés (le blanc a remplacé le jaune, un jour on utilisera la lumière noire), tu prononces des mots qui s’envolent comme des oiseaux ; un corbeau nous regarde passer sur un fil de poteau téléphonique.

— grillons, crapauds, rongeurs, ils sont tous aux aguets le long de notre passage : peut-être nous surveillent-ils ? On emploie maintenant des animaux pour « sécuriser » ce qui est hors de la ville ; un choucas ne se cache même pas ; tes cheveux doivent flotter au vent sous ton casque ; tu aimes la musique : je t’ai appelée un jour « Souveraine de la nuit » ; je branche Mozart.

DOMINIQUE HASSELMANN

Extérieur :
Des mots tels que
vague, vent, vent et vague, brume, brumeux, ombre, embrun, eau, ombre d’eau, océan, frappe, embrasse, goutte, jaillit, jaillissant, nuit, obscur, obscurité, rité, brouillard, horizon, ciel
Une phrase-son
La vague bruine un embrun, goutte, frappe et s’évente en brouillard.

Sur le pont du bateau :
Des mots tels que
glisse, glissant, gîte, pont, barre, glissant barre, foc, mat, glisse mat, drisse, tape, voile, faseyer, border, à border la voile, virer, écoute, louvoie, louvoyant, arrière, écoutille
Une phrase-son pont du bateau seulement
À la gîte le foc faseye, borde l’écoute, tend la drisse
Une phrase-son avec l’extérieur
À la gîte vent océan embruns inclinent l’horizon au ciel des voiles embrassent chaque goutte

Intérieur :
Des mots tels que
ouvre, parle, ouvre-parle, tenir, tiens, vacarme, quart, coussin, placard, abri, coussin à vacarme, pause et pose, la pause-placard, tenir la pause-placard, carré, coussin carré
Une phrase-son intérieur seulement
Au carré un abri vacarme fait pause.
Une phrase-son avec le pont
Glisse sur le pont et coussin tombent au carré.
Une phrase-son avec le pont + extérieur
La bruine obscure faseye en arrière pose un coussin à l’abri.

ISTA POUSS

Chaque jour avait porté une note différente dans l’air humide de la pièce lugubre où il la retenait recluse. Incapable au début d’imaginer l’extérieur, enfermée en elle-même, dans sa douleur, dans sa peur, elle s’était laissée aller au silence des murs de sa prison, absorbant leur rigueur, leur dureté, Plus sombres et muets entre trois et cinq heures du matin, elle avait alors commencé à élargir le champ de ses perceptions. Elle s’était surprise à guetter un signe. De la rue, dont elle ne pouvait rien percevoir, attachée qu’elle était au pied du lit, ne lui parvenaient que des sons, parfois des voix, celles des passants, jeunes gens joyeux ou fêtards, hommes avinés et agressifs, filles qui riaient aux éclats, d’autres encore qui hélaient un taxi ou s’interpellaient à l’autre bout de la rue.

Peu à peu elle arrivait à reconnaître les heures du jour, d’une régularité de métronome, celles de gestes quotidiens, le rideau d’un commerçant, une livraison à heure fixe ou mieux l’installation d’un marché hebdomadaire, le moteur d’une première auto, puis d’autres, de plus en plus nombreuses, celles provenant d’une rue située en bout de cité. Un école primaire, des cris d’enfants, un stade, des adolescents courant après un ballon, des engueulades, des éclats de rire, plus loin un collège, les bus qui klaxonnent, les freins qui crissent.

A l’opposé, un train passait chaque soir à la même heure, assourdissant dans la tombée du jour, entre dix-sept et dix-huit heures. Le roulis monotone d’un wagon de marchandise, l’essoufflement d’une vieille machine aux vitres noircies, au ferraillage rouillé, aux essieux fatigués, le passage à niveau, le cri sourd de l’annonce, la barrière qui s’ouvre et se referme, les freins des voitures imprudentes.

De la position qu’elle occupait dans la pièce, elle n’avait accès qu’à la lumière des néons qui s’allumaient et s’éteignaient cycliquement le matin et le soir. Le vent transformait les bruits de la rue, les étouffaient ou les accentuaient, faisant claquer parfois violemment un volet mal accroché. Dans la pièce glacée, pas un insecte sauf une mouche prise au piège d’un vase de lampe sur la table de chevet. Quand la pluie se mettait de la partie, elle se laissait aller et s’imaginait qu’elle la lavait de toute cette crasse en elle et autour d’elle. Elle comptait les gouttes, elle suivait leur rythme et leur densité, plic-ploc, plic-ploc, fine et lente, ploc-ploc-ploc-ploc-ploc-ploc-ploc, plus drue, plus rapide. Les sons donnaient à sa présence en ces lieux la seule raison d’exister encore et d’attendre la libération qui viendrait. Forcément, elle viendrait.

MJ DESVIGNES

Dans l’oreille cotonneuse un moustique castrat invisible chante une note immuable : acouphène persistant de bas niveau. Un vent fort secoue de rafales le volet métallique, après quelques mouvements de draps crescendo grincement de la latte du lit, tapotements divers éprouvant les sonorités et textures dans le noir, petit déclic de la boîte en plastique enfin trouvée qui s’ouvre, frottements très envahissants de la mousse dans les conduits auditifs, intériorisation soudaine du souffle, des battements de cœur, pulsations, prise de conscience d’un son plus grave témoignant de la mâchoire crispée. Inspirations plus allongées, vagues de draps comme à distance, conversation intérieure qui s’éparpille et saute à coq-mouton, instant d’absence ; anéanti par une détonation intérieure un ébranlement de partout, tâtonnements sourds et vision de l’heure. Revenir à la respiration, les pensées qu’on évite sitôt surgies, le jeu de cache-cache avec la conscience de soi. Bientôt on sent qu’elle part, elle se tient à distance murmures comme hésitants et

Retour. Tensions, puis relâchements, partout : étirements méthodiques, bâillements grognés, à bruit blanc, criés, grondés, reniflés, voyellisés, ébroués, aspirés, mastiqués, balbutiés. Battements, mouvements de nage sur le matelas, lancements des jambes avec élan, basculement, la latte encore, les pieds nus battent la moquette, frottent, rampent vers les espadrilles, s’engouffrent. Position bien assise et immobile enfin. Dru grésil des poils du menton sur la paume, résonance douce du crâne sous le cuir chevelu que l’on frotte. Les bouchons d’oreilles sont expulsés de leur logement et la rumeur extérieure revient. Chuintement des pneus sur l’asphalte : il pleut.

Claquements d’espadrilles, robinet qui s’ouvre, vocalise de la bouilloire électrique. Son de fer blanc du couvercle de la boîte à thé. Frottement des brins contre la cuiller, petit grincement claqué de la boule à thé, ébouillantement qui remplit le bol. Quelques salves de bâillements encore. Bouillons de l’eau, découpe du pain, petits coups de la pointe du couteau sur le gros bout de l’oeuf. Danse de la coquille qui toque la casserole. Succion caoutchouteuse de l’ouverture du frigo, ébranlements de la grille dont on retire des denrées, claquement étouffé de sa fermeture initiée par le pied. Papier d’emballage du beurre que l’on froisse, grattements du couteau sur la tranche du pain. Coups sur l’oeuf, et comme une anticipation de lappement dans une éclaboussure de blanc quand on l’ouvre du bout de la coquille. C’est le moment d’allumer la radio.

ÉTIENNE JOUIN

1 – le brouhaha des voix qui contamine la troisième slave d’applaudissements lesquels s’espacent peu à peu – des bruits d’étoffe – des échanges de paroles plus proches, qui seraient compréhensibles si on y prêtait attention – un strapontin qui claque – un sac qui tombe - le silence des couloirs envahi par les conversations - les petits bruits de tissu, de fermetures éclairs, des manteaux que l’on endosse – les pas mats sur le tapis des marches et les talons hauts qui claquent sur le comblanchien resté nu sur les côtés – le bruit des voix qui enfle dans le hall – les bonsoirs à voix très haute des ouvreurs – le bruissement de l’air extérieur qui se peuple, prend vie humaine – les voix et les pas qui s’éloignent – la silhouette devant téléphone que c’était bien, qu’elle arrive

2 – les pas qui sonnaient sourdement dans l’escalier changent de tonalité en arrivant sur le quai – tousser pour entendre résonance – ne capter que les réponses de celui, sur le quai d’en face, auquel parle cet homme à côté – un nouveau groupe de pas, avec le clapotement de talons hauts, débouche sous la voûte – vibration de l’air déplacé par le métro qui débouche du tunnel – sifflement sourd des voitures qui freinent, s’arrêtent – plusieurs notes au dessus, plus bref et plus discret, celui des portes qui s’ouvrent – un couple descend, les voix qui s’éloignent – le son des portes qui se ferment, différent depuis l’intérieur, comme un souffle discret – la secousse du démarrage a-t-elle un bruit ? le corps croit le sentir – le silence habité de la rame, glissements de tissus, souffles, murmures, bruit d’un programme qu’on froisse, claquement d’un fermoir de sac, le ouf mou d’une grosse doudoune enveloppant chairs abondantes en se posant sur un siège – cliquètement des anneaux d’un petit panneau rectangulaire pendant au dessus des têtes – personne ne descend du wagon à la station suivante mais sur le quai passage d’un groupe et, filtré, le bruit des basses qui sort d’un gros transistor porté sur une épaule et les notes les plus graves des voix

3 – la rue qui murmure dans la nuit et le souffle du vent avec ses sautes, variations – descendre le long du cimetière - musique des branches secouées – un dernier café en activité, très clos, d’où filtre une musique de variété – glissements presque silencieux de quelques voitures – bruit des pas foulant les feuilles, craquements, froissements...

4 – une radio en sourdine qui s’échappe d’une porte ouverte un instant – grincement du lit – une lame de parquet comme un coup d’archet – le glissement des anneaux de bois des rideaux – le claquement des volets – le heurt de la crémone fermée trop vite – le très petit bruit d’un pied qui cogne et le fort juron qu’il entraîne - l’eau du robinet, une voix à laquelle on répond, le robinet coule toujours – le soupir de la chemise de nuit jetée sur un tabouret - le froufrou du rideau de plastique – la cataracte de la douche – la son de la chute de l’eau qui varie avec les mouvements – le petit goutte à goutte du flexible raccroché qui se vide – le plic plac des pas

5 – café d’avant travail – les portes qui s’ouvrent et se ferment – les voix, celles qu’on entend, celles qu’on écoute, celles auxquelles on répond – les tasses pleines posées sur le zinc – le bruit désagréable de la déglutition de certains – les cris appelant Jean : un café ou rarement, un blanc, ou plus rarement un thé – la note haute que font en glissant sur le comptoir les corbeilles de croissants qu’on se passe – les commentaires de Jean sur ce qu’il a lu ou qu’il lit dans le Parisien, ne pas vouloir comprendre, répondre en le félicitant pour son café qui est le meilleur du quartier – le clapotement de l’évier et le petit chant de l’eau – le bruit sec et aigu d’une tasse reposée trop violemment – les bruits d’étoffe, des fermetures éclairs des sacs, des billets et les petites notes des pièces que l’on pose – le bruit des chaises repoussées dans le fond du café – le bruit incomparable du percolateur, celui du lait chaud qui tombe dans une carafe - et toujours les cognements et les tilt du flipper – et puis bien sûr les grognements pour signifier fait froid, fait sommeil, et les rires – petit choc sourd d’un livre qui tombe, ma voix qui dit merci à celui qui le ramasse – les froissements des journaux - parfois un semblant de silence pour une tête nouvelle

BRIGITTE CÉLÉRIER

Bruits de pas sur le sentier autour du lac, crissement des graviers, chuintement de l’herbe foulée, sifflement du bâton qui fauche les branches, staccato heurté de la course, souffle rauque du coureur, respiration paisible à l’arrêt, expir, inspir, glouglou de la thermos, cascade de sa pisse contre un tremble, soupirs de satisfaction, murmures indistincts d’encouragement, légèreté de la reprise en petites foulées, le bruit des pas s’estompe dans le lointain,

Bourdonnement des abeilles, tittittit des rouge-queue, ricanement d’un pic-vert, pépiements des moineaux, claquements d’ailes, les grillons grésillent, les sauterelles stridulent, des canards cancanent, au loin hennissement d’un cheval et sonnailles de vaches, un âne braie, plus proche l’aboiement féroce d’un chien, en retour la plainte d’un autre, des gémissements plaintifs,

Cris d’enfants, sifflement des galets qui ricochent sur la surface du lac, fracas des éclaboussures d’une entrée fougueuse dans l’eau, appel d’une mère, ta bouée, tu n’as pas ta bouée, une chanson, maman, les p’tits bateaux, battements rythmés de rames, glissement d’un kayak qui fend les flots, des vaguelettes clapotent sur la rive, sifflement du lancer d’une canne à pêche, jurons du pêcheur, pleurs d’une fillette, mots de consolation d’une femme, promesse murmurée d’une glace à la framboise, les pleurs cessent, un rire, cavalcade d’un groupe de marmots, ordres secs des accompagnateurs, en rang par deux, silence, explosion de hurlements, distinct, un merde bien senti fuse, silence soudain,

Pétarade de motos, grognements de déplaisir, ah, ces jeunes, irresponsables, faut leur interdire l’approche du lac, vrombissement d’une tronçonneuse, fracas de l’arbre qui s’abat, clac, clac, clac, un tracteur cliquette, bruit de casserole d’une voiture qui démarre, au loin, une sirène d’ambulance, le ronronnement de la circulation, les klaxons des véhicules sur la départementale, vacarme du train, celui de midi, carillon de l’église du village, sonnerie de deux cloches en volée,

Tapageur mouvement des gens, on rappelle les enfants, il faut rentrer, c’est l’heure, rouspétance des gosses, encore, c’est trop bien, on entend plusieurs plongeons du pont et rapidement les splaf retentissants des gifles, et le whouah des hurlements des minots, raclement de leurs pieds vers le parking, claquement des portières des voitures,
Soupirs de satisfaction de ceux qui restent, entrechocs des boules de pétanque, alors, tu tires ou tu pointes ?, plombe, bon dieu, plombe ! té, t’embrasse Fanny ! détonation chaleureuse d’une bouteille qu’on débouche, un petit coup de rosé, c’est pas de refus, exclamations autour du pique-nique, brouhaha de conversations, ronflements de la sieste, sifflement du vent qui se lève, réveil et départ en fanfare,

Proche, le chant paisible de la Durance, et silencieux le ciel immense.

CHRIDELL

des sons approximatifs répétés et puis la mélodie s’élève / la salle est haute la musique enveloppante / au fond de mon transat j’entends un vagissement / derrière moi un bébé / sur mon flanc un autre son lui répond étranglé brusque et maladroit / un ours a crié là / la musique bat son plein / le bébé de nouveau / puis l’ours / je tourne la tête / un jeune homme en fauteuil roulant visage envahi de lumière bouche béante sur le côté scande de mouvements saccadés / la musique de bonheur le foudroie

ANGÈLE CASANOVA

1) Le petit craquement de la charpente, à dénoncer les petites rafales de vent.

2) Le claquement du radiateur quand l’eau chaude arrive, à s’interrompre une fois repu de chaleur, fonte aluminium bien dilatée.

3) Le gazouillis de l’oiseau dans la nuit du petit matin, à précéder le hachoir du réveil.

4) Le chuintement du caoutchouc des pneus, à sucer l’asphalte, à feuler loin, loin, avec parfois, à s’empiler par dessus, le bruit d’un moteur par trop poussé.

5) La rafale d’une musique, lâchée depuis une voiture, à passer trop rapide pour l’identifier, l’isoler.

6) L’explosion des cris jetés dans l’air par les voisins à s’engueuler, à claquer les portes mais toujours fenêtres ouvertes.

7) L’éclat des conducteurs et passagers des deux roues, à s’interpeller, contre le vent, à travers les mousses et les plastiques des casques, dans la pétarade.

8) Le déchirement de la sonnerie de l’interphone, à faire crever l’intimité.

9) Le crissement des freins du camion poubelle à s’arrêter ; le raclement des conteneurs sur le goudron avec, parfois, les impatients à klaxonner ; le grincement des vérins de la benne à compacter ; le raclement des conteneurs sur le goudron avec, parfois, les éboueurs à aboyer pour s’entendre ; le ronflement du moteur, à embrayer.

JÉRÔME C.

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 6 avril 2016
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