outils du roman #9 | dans le décor, 2

cycle été 2020 | outils du roman


 

 

dans le décor, 2


Enjeu : trois variations de point d’énonciation, sur un même contenu visuel avec cadre.

Dans les 30 exercices de John Gardner, qu’on a déjà traversés, on peut considérer comme un jeu le dépli qu’il fait du quatrième, en 4 variations 4a, 4b, 4c, 4d. C’est sur ce terrain glissant qu’il nous a préparés qu’on va pourtant se risquer.

On ne fera pas 4 variations, 3 suffiront.

Premier aménagement : dans ses 4 propositions, le « cadre » visuel de départ est un archétype. Deux fois simplement un paysage (landscape), une fois un lac, donc archétype, mais une forme géométrique avec eau dans un cadre paysagé, enfin en mode plus urbain dans le quatrième : un bâtiment (building), qui peut aussi, dans la langue anglaise, être un chantier.

Nous, ça tombe bien, dans la proposition précédente (dans le décor, 1), on en a accumulé 8, de ces cadres visuels avec paysage, 4 extérieurs, 4 intérieurs.

D’où ma première insistance : il s’agit bien d’un travail en 2 parties, il s’agit bien d’avoir collectionné ces 2 séries (4 intérieurs, 4 extérieurs) pour se risquer dans cet exercice-ci, sinon on part sur une base trop réduite.

La deuxième étape, depuis ces 8 cadres visuels définis dans l’exercice précédent, c’est de choisir — mais irrationnellement, mais obscurément — celui qui vous semblerait le plus en affinité avec ce que vous explorez par l’écriture. Je choisis exprès cette formulation, la plus indéterminée possible, mais elle est vérifiable : une fois déterminé quel cadre parmi les 8 (intérieur ou extérieur, ce n’est pas la question), il doit vous sembler avec force que celui-là seul est le bon enjeu pour cet exercice.

Puis on revient à John Gardner : dans chacune de ses variations, 4a, 4b, 4c, 4d, un narrateur est précisé. Narrateur, silhouette, ou simple point d’énonciation, comme je l’ai formulé plus haut : une « vieille femme », un « jeune homme », un oiseau, un homme mûr. En gros, 4 archétypes les moins définis possibles. Des silhouettes mais aussi « génériques » que nos médicaments.

Ce qui compte, c’est leur détermination : ils sont chacun lesté d’une fonction en lien avec nous, qui écrivons. La vieille femme vient de perdre, enfin, son vieux mari ragoûtant. Le jeune homme vient de commettre un meurtre. L’homme mûr vient de perdre son fils à la guerre, enfin le même lac peut être vu non par le jeune homme de tout à l’heure, mais par un autre qui lui ressemble comme une goutte d’eau à une autre, mais dont la caractéristique est d’être dans le plein bonheur amoureux (si ça existe mais oui, au moins dans les livres ça existe, sauf qu’en ce moment je relis Le rouge et le noir).

Mais chaque fois, et les énoncés de John Gardner, dans leur brièveté même, ne sont pas contournables, revient un axiome essentiel : ne pas mentionner le mari, ne pas mentionner le meurtre, ne pas mentionner le fils, ni la guerre, ni la mort.

Et c’est là ce que je vous propose, là où je vous attends.

Nous, on se contente d’un seul cadre visuel pris à la proposition 8, donc notre dans le décor, 1 préalablement faite. Mais, une fois ce cadre élu, on le fera dire par trois personnages, trois points d’énonciation, lestés à outrance (l’espace tragique et implacable des choix proposés par Gardner), mais avec totale impossibilité de mentionner quoi que ce soit de cette charge, ou de cette pré-définition, de toute façon extérieur au paysage, au bâtiment ou chantier, ou au lac.

Mesurez-vous le culot du bonhomme, à nous proposer ça d’un ton détaché, et comme s’il s’agissait d’un exercice ludique ?

Reprenez la première ouverture du As I lay dying (Tandis que j’agonise) de Faulkner, vers 1925, avec trois adolescents qui traversent un champ de maïs pour rejoindre la maison familiale : c’est le même champ de maïs, on converge au même instant vers la même maison, mais les trois mondes, et donc les trois univers sensoriels et visuels, ne coïncident pas. Révolution dans la baraque littérature.

Dans La promenade au phare de Virginia Woolf, six personnages vivent et pensent simultanément une même réalité restreinte (le repas de famille du dimanche) et ce sont autant de mondes qui ne coïncident pas. Révolution dans la baraque littérature.

Après, tous les coups de dés narratifs sont possibles. Toutes les stratégies, y compris le dépli temporel (trois narrateurs en un même point à une ou plusieurs générations de distance), sont possibles. ou Restera le paysage.

Reste aussi l’oiseau : bien sûr, en ce cas, le défi d’une vue à la verticale, donc qui n’est pas liée à un champ visuel anthropomorphe. C’est différent pour nous, qui pouvons nous équiper en moins de 48h d’un petit drone livré à domicile. Les vues à la verticale sont une mine de fiction potentielle, les exemples désormais abondent. Mais ce qui compte, c’est l’oiseau : la vieille dame, l’homme mûr et le jeune homme sont des êtres doués de réflexion, même dans le choc tragique où ils sont, l’oiseau moins, ou pas (ce n’est pas mon propos). Une de ces variations peut-elle s’effectuer en gommant cette instance auto-réflexive, pas plus réflexive qu’une caméra de surveillance ?

Souvenez-vous, tout est dans le « ne pas mentionner », c’est le seul syntagme qu’il nous martèle 4 fois à l’identique !

À vous d’écrire. On est encore dans le dépli d’exercices techniques, mais chaque fois on ouvre un peu le territoire.

Promis, la prochaine sera plus libre. Roman et fiction ? Eh bien, me semble que chaque fois on l’alourdit d’un joli petit caillou...

(Et n’oubliez pas le petit codicille : il se passe vraiment quelque chose, dans cet espace...)

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 29 juillet 2020
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