du rétablissement des exhibés

nouveaux rituels expiatoires


Le monde allait mal. On avait rétabli ce vieux rituel des exhibés.

On choisissait plutôt par pays que par villes. Même si quelques sociétés locales ou régionales s’étaient constituées, on ne concourait qu’à la capitale. Une fois sélectionné là, libre à vous de vous rendre dans n’importe quelle ville, ou vivre dans votre région. Mais qui se dispensait de l’épreuve ne serait jamais vraiment considéré.

C’est aussi qu’on concourait, d’accord, mais pouviez-vous dire, à cette étape, que vous étiez prêt à ce qu’on exige de l’exhibé ? Tous ceux que je connais, et c’est vrai aussi pour moi-même, me l’ont confirmé : non, c’est après.
Avant, on s’imagine que cela ne changera pas grand-chose : écrire, peindre, jouer, tenir un journal, faire des images, des objets, c’est chacun. Il y a des écoles, des expositions, des galeries. Dans les librairies on vous invite à lire vos livres, dans les théâtres on présente des formes plus longues, axées aussi sur la langue. L’exhibé est lié à jamais à son travail. Rien de ce qu’il écrit, ou construit, ou joue, n’échappe au regard public. Evidemment, on y trouve collectivement avantage : la notion d’intime se déplace, et l’âpreté de ce qu’on exige de soi-même, l’audace des formes. Bien sûr, le contraire aussi : de grands exhibés sont de grands endormis. De grands exhibés semblent à jamais recueillir, bouffis sur leur piédestal, l’hommage même indifférent, ou à égalité de tous autres spectacles et loisirs ou ces artefacts sportifs, de leurs contemporains, puisque les villes jamais n’ont été aussi dense, qu’on y circule dans toutes directions, qu’on y fait les mêmes haltes, qu’on y a probablement en masse les mêmes rêves.

Et tout cela parlait, parlait. Des politiques tentaient d’en profiter, arguant de leur familiarité avec les exhibés, se hissant sur un piédestal tout semblable (on avait même fini par ne plus s’offusquer de ce droit qu’ils s’étaient arrogés de publier des livres : ils s’empilaient dans les gares). Et des conflits de hyène agitaient toujours le monde de ceux qui publiaient, exposaient, jouaient dans les festivals : ce serait eux bientôt les nouveaux exhibés, on débarquerait les précédents.

Moi je dis qu’il n’y a rien d’enviable, à cette durée à laquelle on vous force. A cette façon dont, quoi que vous fassiez, on se saisit de vos mots, vos actes, vos images. Chaque pays a les siens, et ceux qui viennent des pays puissants, même bien moins âpres que les nôtres, passent devant, comme des éléphants bouffis : je pourrais donner tant d’exemples. C’est triste quelquefois, à cette fragilité qu’on sait : les voilà, devant, avec leurs livres, leurs statues, leurs toiles ou leurs images, ou la façon d’exposer son corps, par une danse ou ce qu’on dit sur une scène. Les exhibés cherchent, souffrent. C’est parfois l’indifférence aussi : chacun sa place, chacun ses circuits, et dans chaque ville les abonnés.

On avait rétabli, dans chaque pays et chaque langue, en avant des grandes villes, les exhibés : est-ce que le monde allait mieux pour autant ? Poser la question c’est y répondre.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 25 août 2006
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