#film #03 | Marguerite Duras, comment j’ai fait

revenir sur l’instant même du saut dans le « faire » en décrivant le contexte qui le précède



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#film #03 | Marguerite Duras, comment j’ai fait


Le but, ou la cible, résolument : comment se forme et se solidifie une intuition, comment l’intuition ne donne pas de suite les pistes du travail, et puis qu’à un moment donné cela bascule, et on n’est plus absorbé que par la fabrication, le temps matériel du « faire », le verbe étant ici l’élément central.

C’est cette réflexion qui m’a conduit à rouvrir les livres de Marguerite Duras, où cette question du faire devient parfois (Le camion, L’homme Atlantique) le contenu même du projet.

Est-ce qu’on est dans une écriture à visée film ? Pour moi, cela devenait secondaire. Dans ces propositions, on marche souvent par retournements, paradoxes. On ouvre un territoire, mais souvent alors le territoire prime, et on procède presque à l’envers, comme on l’a fait déjà pour Koltès.

C’est l’impression immédiate, presque un choc, que m’a faite ce texte de Duras – c’est une collection d’entretiens sur le cinéma qui date de 1979, je doute qu’il soit encore trouvable, aucune idée de si ça a été repris – en tout cas il ne semble pas figurer dans le Quarto.

Je l’ai reproduit intégralement, avec un autre de la même période, plus centré sur l’écriture, dans la « fiche » du dossier téléchargement.

Je voulais ici en proposer deux lectures, pas incompatibles l’une avec l’autre :

 oui, il s’agit bien d’une écriture « film », c’est-à-dire une bascule qui n’amène pas vers l’écriture d’un texte mais vers une pratique incluant image, son, acteur, décors, équipe, et le tournage une expérience temporelle peu auto-réflexive, mais qui deviendra rétrospectivement écriture lors du montage.

 oui, il ’agit bien d’un texte qui concerne aussi le basculement dans l’écriture. Pour Duras c’est indémêlable, et parfois même l’incertitude sur le devenir-film ou le devenir-livre un ressort de la narration même (par exemple dans La mort du jeune aviateur anglais). D’autre part, elle ouvre dans les années 70 un espace qui lui est spécifique, où notre position fictive de lecteur d’un film qu’on nous raconte est ce qui permet au texte sa fiction : il est fiction en tant que film raconté.

Mais là on va s’en tenir à plus simple, et aller directement à la consigne :

 d’abord ce texte est un bloc, un bloc d’un seul paragraphe, et je ne mettrai pas en ligne les contributions qui s’en dispensent. C’est pour ça que je commence la vidéo par un texte beaucoup plus connu de Duras, pris à la Vie matérielle, et qui pose l’écriture comme « bloc noir ». Je veux qu’on entre dans ce « bloc noir » et que chacun produise le sien. Où l’intuition et l’intention n’ont pas permis qu’on renverse les barrières, qu’on en appelle alors au contexte, aux éléments même du blocage, à ces toutes petites choses, lectures, marches, paroles, visages, bruit du monde, figures des rêves, qui nous relient malgré tout ou arbitrairement, ou par hasard, à notre attente en désarroi, et que soudain ça vous emportera, qu’il n’y aura plus qu’à obéir, que tout ira très vite. Je remets ici un extrait de ce texte « bloc noir » :

Quand on écrit, il y a comme un instinct qui joue. L’écrit est déjà là dans la nuit. Écrire serait à l’extérieur de soi dans une confusion des temps : entre écrire et avoir écrit, entre avoir écrit et devoir écrire encore [...]

 et justement s’en remettre à cette question de l’instinct, et prendre radicalement au sérieux cette proposition paradoxale, qui n’enlève rien à la difficulté, à l’inconnu, à l’obstacle : « l’écrit est déjà là dans la nuit, écrire serait à l’extérieur de soi ».

Le paradoxe, et là que ce soit le devenir-film ou le devenir-livre c’est parfaitement indifférent, c’est donc de décortiquer toute cette double relation (vers l’intérieur de soi, et depuis l’extérieur de soi) qui s’accumule dans le non-faire, dans cette latence d’avant basculement, et qu’en faire un texte soit déjà avoir écrit ou entamé le récit.

Et cette double relation, quand c’est Duras qui l’explore, c’est un monde : voir comment s’y installent les voix, et cette allée sur les bords de laquelle s’écartent les voix. Voir la relation aux bruits du monde. Voir cette relation aux préoccupations immédiates (l’argent). Voir, peut-être même surtout, comment elle s’y prend dans ce sentiment de lâcher-prise, à partir de ce « personne ne voit mes films » et que c’est quand commence le « pourquoi les faire » que quelque chose s’ébranle et vous emporte.

Il va vous falloir, pour cette consigne, un élément source biographique précis. Je ne demande pas que ce soit film ou livre. L’envie d’un départ, un voyage brusque, une expérience de théâtre ou de musique, on est dans l’archéologie commune à tous les arts, mais on est dans ce qui sépare l’inouï artistique du reste des contraintes liées à la communauté ou à la nécessité.

Il y a, tout au bout du texte de Duras, ce « oui » qui sonne si fort. Il y a aussi une ellipse : ce qui se produit – pour elle dans le tournage, pour nous dans l’écriture – elle le fait disparaître dans un puits extérieur, qui ne lui appartient pas. « ... je le fais. Chaque jour, du matin au soir. Trois mois. »

Ce qui compte c’est donc l’avant. Entrer dans l’intérieur du comment j’ai fait et le chercher dans l’intérieur même de ce qu’elle nomme désespoir, cette latence préalable.

Cette exploration est notre lot quotidien, et notre permanente aventure intérieure. D’autre part, ce texte de Duras, Comment j’ai fait ?, rédigé au moment d’India Song et jamais réédité, nous le sauvons – nous le sauvons par nos propres écritures en répons.

À vous. On va franchir une étape.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne 14 février 2018 et dernière modification le 19 avril 2019
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