écrire en école d’arts : déplacements, fulgurations, résistances

colloque « Recherche & création ittéraire », Cergy, 16/17 novembre 2015


Dans le cadre du colloque « Recherche & création littéraire », ma propre intervention, l’occasion de revenir sur une démarche amorcée depuis bien longtemps, mais toujours ouverte, et désormais dans un contexte élargi et transformé....

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1870, Lautréamont : « La poésie est faite par tous, non par un ».

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1993, Une du Figaro littéraire, Michel Tournier : « Prétendent-ils faire de tout le monde des écrivains ? »

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Si je prends comme critère : personne que j’ai rencontrée ces 20 dernières années dans un stage ou atelier sans qu’elle ait encore publié, et qui désormais publie chez un éditeur commercial, j’en dénombre 14. Cette liste n’existe pas, pas même dans mon ordinateur. Au contraire : à repenser à quelques-uns des noms, je me dis plutôt que ce qui définit quelqu’un qui poussera sa démarche jusqu’à l’édition, c’est sa réticence ou son incompatibilité avec l’atelier collectif. N’empêche que.

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Autre liste qui n’existe pas, et me touche plus : textes inouïs, ahurissants, vertigineux ou lumineux, construits jusque dans l’abrupt, constitués en atelier et que leur auteur n’a pas poussé jusqu’au statut de livre. Les livres qui n’ont pas existé peuvent peser lourd dans votre tête, dans votre démarche.

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Ce qu’on fait du texte des morts, quand on sait qu’ils n’existent plus que dans votre ordinateur. Ce vieux paradoxe, qui continue, que soit considérée comme prouesse sociale d’avoir écrit dans les franges dures d’un monde inégal, d’un monde qui exclut. Oui, j’y ai appris. Est-ce que j’apprends moins, parce que je travaille avec des étudiants en pleine accession à leur devenir, que ce soit dans les sciences, l’économie ou la sociologie, ou bien – ici même en école d’art – dans un déplacement des franges de la représentation ? Reste qu’on n’en a jamais fini des cloisonnements.

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Corollaire du précédent : ce qu’on enseigne, c’est quoi ? Il y a une histoire parallèle des formes littéraires modernes et de la philosophie du sujet, et quand la philosophie du sujet n’est plus un système pertinent, les formes littéraires se cherchent dans le noir. Elles glissent d’une posture d’observateur projeté (Balzac) à une posture d’observateur impliqué (Proust) puis à une posture d’acteur impliqué (Claude Simon) et désormais à une expérience où le texte se constitue en même temps qu’on en déplace le contexte même. Le saut hors d’une médiation culturelle du dire, c’était le saut en dehors d’une énonciation dominée par sa posture d’observateur. C’est en termes de forme littéraire qu’elle s’appréhendait – Faulkner l’a inventé en y projetant ses récits, l’atelier nous l’apprend en nous y projetant nous-mêmes.

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Nous ne nous revendiquons pas d’un savoir objectif de la démarche, ni de l’atelier. C’est notre implication obscure dans notre écriture même – parce qu’obscure – que nous mettons en partage pour aller vers l’inconnu commun. Il ne s’agit pas d’unifier une méthode, mais de savoir – pour soi-même – sur quelle logique on s’appuie pour rendre cohérent le cycle, le chemin, le terme, quand bien même ce terme n’appelle pas à pérennité ni dépôt. Un atelier, c’est un parcours.

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Je peux tenter de formuler ce qui est pour moi méthode : métaphore, peut-être plus facile en école d’art, où ce vocabulaire est commun à chacune des démarches, de l’intuition à la forme, de la forme brute à l’analyse historicisée et distanciée de sa propre singularité, enfin à la conduite de cette forme vers un autre affrontement. Partir paradoxalement d’un axiome inverse : écrire comme indivisible, écrire comme boule malaxable, imprévue et dans son saut et dans ses formes. Mais, de ce « compact » (vieille expression de Maurice Roche), étirer artificiellement un par un des éléments univoques. Ce sont eux, un à l’exclusion de tous les autres, dont on fait le territoire précis de la proposition. Mon travail serait là : avec assez de précision quant à ce territoire, la prise d’écriture n’est pas apprentissage amateur, elle est exercice littéraire de plein droit. Et la condition de ce travail de définition : extraire de la bibliothèque, la mienne, un auteur pour qui ce même territoire n’était pas un choix, mais les conditions arbitraires de son invention. Si pragmatique qu’elle puisse paraître, c’est la méthode qu’utilise Deleuze dans Image/temps et Image/mouvement pour conceptualiser le cinéma.

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Corollaire immédiat : le territoire des propositions est lui aussi un territoire. Disons que je dispose au bout de 20 ans d’une cinquantaine de propositions viables. Que chaque année je rajoute à mon répertoire 2 ou 4 propositions, mais pas plus. Que chaque proposition, pour que je l’utilise, doit être utilisée une première fois dans des conditions favorables (atelier en ligne sur mon site, par exemple), pour qu’au bout de 3 ou 4 utilisations je puisse anticiper un minimum l’horizon des textes et des postures qu’elle déclenchera. Cet horizon sera toujours bouleversé à chaque séance. Mais mon mode de présentation de la proposition dépend de cette réutilisation constante. Ainsi, comme mes copains violonistes ou violoncellistes avec leurs Bach, je peux réviser mes anciennes propositions comme les rejouer, les prendre sous un autre angle, les prendre de plus haut. Dans le refus de l’université à prendre nos pratiques au sérieux, ils auront perdu ça : la possibilité de thésauriser ces acquis, les formuler du point de vue de la pédagogie– et c’est peut-être ce qu’on amorce ensemble désormais.

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Corollaire 2, donc ce défi : avec assez de précision quant à ce territoire, que le saut dans l’écriture soit d’emblée une réalisation non pas d’exercice mais d’accomplissement. Cette proposition, je peux la décliner selon le public (ce n’est pas la même chose que travailler avec des SciencesPo qu’avec des écoles d’art, en collège qu’au lycée professionnel), la prendre comme appui pour mieux différencier ma présentation, et surtout, pour constituer cet horizon aux textes, la nécessité d’en multiplier les locuteurs. Je ne place pas de hiérarchie dans le public de l’atelier : mais l’éloignement de la médiation culturelle dans les représentations du monde c’est ce que je reçois de l’atelier, et que je ne peux atteindre sans lui. Même si je le pratique plus ponctuellement que ça a été le cas il y a quelques années, le travail avec des publics empêchés (prison), en difficulté (illettrisme), ou spécifiques (stages d’acteurs, école d’architecte), c’est pour moi le travail de la proposition en tant que telle.

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Corollaire au corollaire 2 : l’importance particulière de ces techniques pour les étudiants non francophones – récemment à Lyon avec un groupe mêlant étudiants étrangers accueillis à Centrale, Normale Sup et le Conservatoire de musique, et cette dernière semaine à la Johns Hopkins de Baltimore : écrire dans ces territoires, c’est entrer dans la langue sans la limitation due à la non-maîtrise. C’est bien que ça commence à se savoir – Beckett en serait un des derniers grands exemples, la langue française s’est toujours renouvelée dans son noyau depuis son hors frontières, et c’est décisif pour nous-mêmes trouver l’extériorité qui permet le travail de la langue.

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Corollaire 4 : se constitue donc autour du territoire des propositions (auquel je n’accorde pas de valeur absolue, à chacun plutôt de constituer le sien), une bibliothèque qui n’est pas notre bibliothèque de lecteur, ni notre bibliothèque d’auteur, mais l’univers spécifique des oeuvres qui permettent de faire écrire. Pas forcément lié à une puissance intrinsèque de l’oeuvre : je ne sais pas faire écrire à partir de Borges, et j’ai plusieurs propositions à partir de Cortázar. Je ne conçois pas d’accompagner un étudiant sur un chemin personnel d’écriture sans qu’il traverse Maurice Blanchot, et je n’ai jamais vraiment su utiliser Blanchot en atelier (Edmond Jabès, si). Beckett, difficile, Claude Simon ou Nathalie Sarraute : à foison. Principe qu’il m’est arrivé de tromper avec Rabelais, ou Rimbaud : mais cette tentative de court-circuit impose pour moi qu’elle passe par le contemporain. Les démarches que je présente, et quand bien même Perec ou Koltès ne sont plus parmi nous, j’essaye qu’elles amènent à notre présent. Alors, oui, une étrange porte parfois s’ouvre : écrire devient légitime, parce qu’aussi arbitraire pour soi-même que cela l’était pour celle ou celui qui a établi la forme sur laquelle on s’appuie.

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Corollaire au corollaire 4 : une justification par la transition. Utiliser une description de photographie ou un film imaginaire dans un récit, c’est devenu pratique invisible parce que générale. S’engouffrer dans un objet, ou ne parler que de l’appel en nous du langage aussi. Mais lorsque ça naît dans une oeuvre, chez Ponge, ou chez Artaud pour les deux derniers exemples, c’est de surgissement même qu’on se saisit. À travailler sur les transitions, on formalise l’invention. L’invention une fois formalisée, c’est sa propre invention qui trouve canal.

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Ce qui nous éloigne du creative writing façon USA, mais qui fait qu’ils commencent enfin là-bas à nous considérer un peu autrement ces temps-ci : l’institutionnalisation de la création littéraire – ça vaut aussi pour le Québec – conduit à mettre en avant une typologie, même élémentaire, des écritures. Cours roman, cours poésie, écriture chanson, écriture théâtre. D’emblée, je positionne mon travail, l’enjeu ou la responsabilité de ce qui me mène, dans une autre description : à partir de ces paramètres isolés du geste même d’écrire, dans son indivisibilité et son imprévisibilité, le travail d’accueillir les textes réalisés. Pas de hiérarchie entre les 3000 pages de la Recherche et les 60 pages des Illuminations, accompagner l’étudiant dans sa reconnaissance des formats et des rythmes. Accompagner l’étudiant dans le champ gravitationnel qui va l’emmener plutôt dans le champ poétique ou le champ narratif. Faire abstraction de ma propre pratique, de mes propres lectures, pour être pertinent dans ce que je lui proposerai comme appui pour ce cheminement. Avoir toujours en tête cependant que rien, dans l’accès à l’écriture, ne préjuge d’où elle s’établira : l’instance poétique du texte, pas question d’échapper à le questionner. L’instance narrative qui permet de capter le réel et de le subvertir, pas question de ne pas la questionner. Donc constituer la singularité, apprendre à la traiter comme telle, mais veiller à ce qu’elle n’enferme pas.

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Corollaire : une enseignante de la Johns Hopkins, la semaine dernière, me demande ce que je fais, moi, pendant que les étudiants écrivent. Bien oui, je me ballade, je fais des photos, je me repose. Le temps de l’exposition est un temps de haute densité, qui se prépare loin en amont. Mais le temps de réception des textes, pas possible de l’anticiper. Se rendre disponible à l’accident, aux glissements. Savoir aller pêcher celle ou celui qui se dissimule. Liberté prise de s’attarder sur un texte au détriment des autres lecteurs. La capacité progressive d’éduquer en soi-même d’analyser dès la première écoute les éléments structurants, la liste des points qui vont autoriser les points de passage pour le retravail. Quand on sort d’un atelier d’écriture, on n’est pas dans un état très brillant. Sans préjudice de l’autre versant de l’accueil : le texte de l’étudiant tel qu’on le reprend chez soi, pour annoter, commenter, suggérer – et le temps que ça prend pour le faire bien, pour ça qu’on aimerait bien, en ce lieu, ici où l’ancienneté est le seul critère reconnu de progression, être rémunéré de façon à nous dispenser du mercenariat complémentaire.

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Corollaire au corollaire : il y a quelques années, du temps des IUFM, en 2 ans les apprentis enseignants, qui toute leur vie ultérieure s’expliqueraient par la voix à des classes de 30 élèves, recevaient 4 heures de formation avec une orthophoniste. J’utilise un certain nombre de techniques, au privilège de l’ancienneté, pour avoir mené des stages en binôme avec danseur, ou théâtreux, ou photographe. La question de l’oralité ne s’est jamais retirée des questions de la création littéraire. Elle tendrait même à retrouver un autre fondement dans le contexte numérique, et en tout cas une immédiateté de questionnement dans le contexte des pratiques d’une école comme celle-ci. Mais la fabrique de l’oreille interne, en tant qu’elle est outil d’écriture, c’est une permanence de notre plus haute tradition de la composition littéraire, prose ou poésie mêlée. Mes astuces, je les prends à l’univers du chant plutôt qu’à celui du théâtre. Mais c’est peut-être, la thésaurisation des pratiques liées à la voix haute et l’éducation à la lecture, un des points sur lesquels l’institution a toujours fait le plus barrage.

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S’il y a un pacte (et il en faut un, si je m’arroge le droit de faire écrire des textes), il s’énonce en fonction de mon propre questionnement : ce que j’énonce, c’est en quoi ce que je propose est pour moi un enjeu au présent dans l’écriture. Ce n’est pas en fonction d’une supposée nécessité pédagogique, d’ailleurs on trouverait toujours dans la littérature un contre-exemple. C’est parce que la question est mienne que j’en appelle à l’exploration collective, parce que la question est mienne que je saurai analyser les textes en retour.

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Sortir la littérature du champ littéraire : mais, quelque rupture qu’on considère, à chaque instant de l’histoire littéraire, elle est transgression du champ qui lui est contemporain. Décalage majeur : ce qui est littérature est toujours constitué rétrospectivement, depuis le hors champ même de l’invention. Et ça vaut de Bossuet à Édouard Levé. Il n’empêche que c’est dans ce hors champ même que nous avons à projeter en avant nos propositions. Ce qui guide, et participe au contraire d’une continuité dans la tradition littéraire, c’est l’articulation des formes et des usages. La publication numérique n’invente rien : elle se dispense seulement de contracter dans un objet monodique, le livre typographié et imprimé, le carnet et l’expérience qui, eux, ont toujours été composites. Ce qui s’invente de récit, s’invente depuis des usages techniques et urbains (on note sur le téléphone, on échange en temps réel des messages vidéo) auxquels on doit ouvrir quoi, sinon l’éternelle définition a minima du littéraire : le langage mis en réflexion.

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Corollaire : j’ai donc cessé de m’intéresser au numérique en tant que tel, parce que le numérique traverse et travaille tous nos usages, tous nos outils. Y compris par la négative : élèves qui travaillent dans le champ de l’écriture manuscrite, élèves – au pluriel – qui utilisent la vieille machine à dactylographier. L’interrogation sur la techné de l’écriture commence avec les différentes évolutions de la tablette d’argile, du rouleau et du codex, de tout cela on peut parler. Le numérique participe d’une réflexion globale sur les outils, interroge sur la culture de l’outil à contre de la tradition qui laissait, dans les facs de lettres, l’histoire du livre et des mutations de l’écrit à ce qu’on nomme encore, dans notre pays, « métiers du livre ». Nous concerne dans l’écrit même d’interroger l’algorithme du capteur de l’appareil photo ou du smartphone, la politique et l’économie des terres rares dans les micro-processeurs, le rapport de la reconstitution mentale du lire linéaire aux fréquences scalaires du cerveau, tout autant que les curseurs de vie privée et de communauté en perpétuel mouvement dans les réseaux (oui, j’enseigne avec le groupe Facebook de l’école), autant que la réflexion sur ce qui bascule du traitement de données quand Adobe passe de Photoshop à Lightroom, et la notion de style CSS aussi bien pour imprimer un livre traditionnel au labo édition de l’école que pour le propulser sur un site web (données brutes : 230 élèves, 22 nationalités, 40 sites et blogs répertoriés, une dizaine de chaînes YouTube). En questionnant l’usage, c’est les formes même du récit dont on ouvre l’espace. Il y a 3 ans, je me battais élève après élève pour qu’ils aient un traitement de texte sur leur ordinateur (beaucoup se contentaient d’utilitaires comme TextEdit, ou du traitement en ligne sur GoogleDoc), aujourd’hui c’est moi qui, dans ma propre pratique, ai délaissé la notion de fichier texte et de traitement de texte sur mon propre Mac, via des logiciels comme Ulysses et la notion de gestion de projet. Le seul impératif, c’est cet indivisible.

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À quel âge l’enfant ou l’adolescent donne-t-il le pas à l’expression plastique sur les autres disciplines ou démarches ? Souvent vers la 4ème du collège, souvent avant. Et où cela s’enracine ? En quoi une dyslexie, qui entrave durement lecture et écriture, peut provoquer ce refuge dans un monde qui va élaborer plastiquement, ou cinématographiquement, ou dans les pratiques urbaines incluant les grimpeurs, son dialogue avec le présent ? Mais la dyslexie a aussi fabriqué un Perec. Comment faire savoir, dans une communauté comme celle-ci, que le déplacement de langue qui s’induit de cette difficulté même, de la mise en question scolaire qui en a résulté, peut conditionner ici les éclatements les plus neufs ? Quels auteurs je peux aller chercher, comme Tarkos ou Duras, ou Frankétienne, qui m’en permettront la venue au jour ? Quelles pratiques pour l’oralisation, la création graphique, le travail individuel par entretien etc. ? Clairement, ma responsabilité dans la communauté d’enseignants pourrait se résorber à un travail invisible : faire que chacun, dans le premier cycle, ait renoué avec la langue comme condition de sa place dans la communauté. C’est avec ceux-ci que souvent naissent les plus belles fulgurations.

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Il y a moins d’un mois, explorant la possibilité d’un stage associant des élèves EnsaPC et des élèves CNSAD, la directrice du conservatoire, pourtant très inventive et très brillante metteur en scène, m’a répondu textuellement : « nous nous concentrons sur le métier de l’acteur, ils n’ont pas besoin d’écriture », de la même façon que lors de mes 2 ans à l’ENSBA (2005/2007) j’étais rémunéré pour le cours obligatoire de littérature et qu’on considérait mon atelier d’écriture comme une activité bénévole. Il n’y a toujours pas de pratique de l’écriture à l’ENSBA (le poste occupé par Pierre Alferi s’intitule « histoire de la création littéraire » – vous m’expliquerez) mais ces barrières obsolètes, maintenues dans des lieux les plus symboliques de l’enseignement artistique, nous les considérons désormais comme préjudiciables à tous.

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Coda sur mes 2 ans à l’ENSBA, il y a exactement 10 ans, et pour amorcer et la boucle et la fin : si, parmi les étudiants avec qui j’ai pu travailler, l’une à publié 3 livres, un autre a publié seulement cette année son premier livre solo, une autre publie en mars chez Actes Sud. Et dans les 14 auteurs dont je parlais au point 3, il y en a un rencontré il y a 8 ans lors d’un stage au CNSAD (et quand bien même il aurait de toute façon fait chemin vers l’écriture), qui l’an dernier a publié un livre majeur. Ici, un étudiant a écrit 3 livres, il les édite et imprime à l’école, et les diffuse via ses réseaux Internet (j’ajoute qu’il n’a jamais mis les pieds dans mon atelier). D’autres participent largement aux performances et expériences de la scène alternative, de Marseille à Berlin, par Paris et Bruxelles. Il n’y a pas de hiérarchie des genres, ni des cultures. Mais l’obligation que je dois aux étudiants ne s’exprime pas forcément dans une réalisation immédiate. Et si mon obligation, y compris dans la part volontariste qui est notre rôle, était simplement de leur rendre possible le chemin autonome qui les mènera, avec ce décalage, à prendre solide place dans la littérature en train de se faire (comme on disait dans les années 80) ? Éventuellement, c’est seulement dans ce cadre qu’ici je parlerai de la lecture. On a la chance, à Cergy, travaillant sur la part volontaire du chemin de l’étudiant, qu’ils iront ou pas chercher les livres qui leur conviennent. Le boulot, on le fait. Ce n’est pas au lycée qu’on vous parle de Michaux ou Collobert. Cela me dérange que des prépas, et les excellentes prépas publiques du Grand Paris, dans cette année charnière, une seule à ma connaissance (Fontenay-sous-Bois) propose un atelier d’écriture. Ma tâche, ici, c’est de faire en sorte que lorsqu’ils iront seuls, ils puissent trouver les livres qu’on la médiation culturelle et littéraire ne propose pas. Travailler pour une réalisation ultérieure à l’école n’est pas une démission par rapport aux enjeux immédiats, juste l’intuition qu’on a aussi à constituer le moule, lui donner sa juste dimension.

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Écrire en école d’arts, ce qui m’aurait alors le plus troublé n’est pas d’interroger l’écriture depuis la diversité des champs et pratiques. Ici, oui ils dansent, filment, photographient autant qu’ils peignent, sculptent, sérigraphient, installent, performent, philosophent et toute frontière établie est mise en travail, c’est notre responsabilité non pas individuelle, mais de ce que j’ai trouvé pour la première fois dans mon parcours : nous enseignants en tant que collectif. Par exemple, mais un exemple qui me concerne de plus que près, la question de l’art dans l’espace public – nous ne savons pas encore institutionnellement l’appréhender, alors que c’est décisif pour le vocabulaire de l’intervention urbaine. Dans le recensement que j’ai entrepris de ces actions et pratiques, le simple trajet du RER suscite chaque année une dizaine d’actions ou d’expériences. Et c’est pour moi un des principaux enjeux : l’art contemporain (voir L’art contextuel de Paul Ardenne) a appris depuis longtemps déranger le réel pour que, de la diffraction surgie, cristallise en retour une forme, pas forcément pérenne, qui nous interroge dans notre rapport au beau, à la communauté, au temps. Artaud, depuis la littérature, nous a appris de longtemps à nous défier de la notion d’art en tant que tel. Aujourd’hui, ceux qui ici écrivent rejoignent les pratiques contemporaines de la littérature parce qu’elle est écriture de l’expérience, récit de notre propre action sur le réel pour qu’il se révèle. Je n’enseigne pas ici les formes convenues de la littérature, je les convoque pour les poser de façon adjacente, parce que m’intéresse avant tout ce qu’eux ils déplacent, et comment dans ce déplacement s’inaugure de la littérature, quand bien même je ne sais pas la nommer, quand bien même j’aie toujours à m’ouvrir pour la recevoir, et – avec eux – la construire comme littérature.

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C’était la fin.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne 16 novembre 2015 et dernière modification le 8 juillet 2018
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