neige

sports d’hiver


Le sport d’hiver c’est pas mon genre. Jamais essayé, en fait, à part quelques souvenirs, autrefois, quand c’était une fois l’an jour de neige, et que dans la cour du garage familial on hissait un capot de deux-chevaux retourné sur le tas des vieux pneus, et qu’avec mon frère on s’élançait...

Mais l’hiver c’est un rituel, près d’Ardes-sur-Couze, dans ce hameau de R... où doivent vivre l’hiver, outre les deux fermes, six ou huit personnes (la commune au total compte 107 habitants, mais dans 5 hameaux comme celui-ci), de venir passer deux semaines. J’aime le silence de cette maison, qu’on nous loue si peu cher, hors saison. Se lever tôt, faire du café, et dans le silence de la grande salle se concentrer sur l’ordinateur. Plus tard, relayer par les marches que les paysages d’ici, le Cézallier, plateau sauvage de la haute Auvergne, rend vite fascinantes. C’est le hérissement volcanique, les cratères abrupts et désolés (l’été il doit y avoir des randonneurs, l’hiver, hors quelques courageux à raquettes, on ne croise personne, que les renards, parfois un mouflon au crépuscule). C’est un pays avec une histoire, des ruines fortes, des chapelles et des tombes que la tempête de 1999 avait parfois mises à nu...

Un pays de vie dure, que l’isolement préservait, et que l’autoroute saigne : on va à l’hypermarché à Issoire, pour le cinéma à Clermont-Ferrand, et si à quelques kilomètres d’ici on a tourné Etre et avoir, le collège d’Ardes vit sans doute ses derniers jours. Restera la maison de retraite.

Que le bouquin soit en cours, en développement, en finition, depuis 7 ans ce moment de réclusion compte comme une étape assez décisive. Ça a été le cas cette année, quand bien même on revient avec l’impression qu’il en reste encore bien plus à faire.

C’est de n’avoir pas de connexion Internet, c’est que le téléphone ne marche qu’à condition d’escalader la colline en face, etc...

Avec le décalage des vacances scolaires, pourtant, j’ai toujours quelques interruptions. Dans ce cas-là, se lever à 4h45, faire les 50 minutes de voiture pour le Corail qui part de Clermont-Ferrand à 6h. Puis les 3 h d’immobilité, qui en général sont aussi consacrées à l’ordinateur : étrange de traverser la Seine à 9h30, avec encore les chaussures lestées d’Auvergne. Mais, mardi dernier, retour des Bx-Arts et le cartable encore plein des livres d’Artaud, c’est à 30 à l’heure que je suis revenu de Clermont à Ardes : neige, cette boule blanche qui se défait dans les phares, la voiture qui tient bon parce qu’on suit un camion, mais avec des embardées dans les virages.

Il était déjà 23h et quelques. J’ai eu une hésitation, avant de grimper après Ardes, et puis je me suis lancé, après tout ça avait roulé jusqu’ici. La première côte a passé, et une fois sur le plateau, bien sûr, je me suis fait avoir par les congères. Plus d’un mètre de neige soudain, la nuit sans étoiles, les formes sombres des sapins, un vent à vous plier en deux. J’ai abandonné la voiture et les Artaud, mis l’ordi sur le dos, et j’ai mis encore une bonne heure, enfonçant jusqu’aux genoux, pour retrouver le gîte.

Le lendemain matin, récupérer la voiture, échanger avec l’infirmière qui vous descend en 4 x 4, faire connaissance du conducteur de chasse-neige, de l’agriculteur qu’on saluait de loin, etc... Puis 3 jours coincés : descendre chercher du pain au village, c’est 3h aller-retour. Plus de téléphone du tout, et pas question de partir. On se dit qu’on réapprend un peu de quelques forces fondamentales.

Une fois revenu, que sans doute ce n’était pas si terrible. Ou bien même que c’était de la chance, ces 3 jours, pour les pages en cours sur Led Zeppelin.

On s’étonne aussi, après coup, que peut-être la peur n’est jamais si loin, qu’on en porte même une sacrée couche en nous, et que ces petits pépins la débusquent.

On n’en revient pas de cette violence sous-jacente des éléments. A 3 générations de ce que nous sommes, ce devait être le quotidien : cela se traduisait comment, dans la tête ? Est-ce qu’il faut réapprendre à lire aussi cela dans les romans, ou dans ce trop mince écho, chez Rimbaud ou Hölderlin, de leurs traversées à pied des montagnes ?

Plus rien de ludique dans la neige, même les enfants le sentent.

Un jeune type de 29 ans, un gars du coin pourtant, sur la route où je suis passé, a été pris par les mêmes congères, lui aussi a laissé sa voiture et a coupé à travers champs pour rejoindre là où il habitait, à quelques kilomètres. Moi c’était vers 23h30, lui entre 2h et 3h du matin, un peu plus de vent et de froid, et la neige, encore plus de neige. La sirène a convoqué les pompiers le lendemain. Pas question d’hélicoptère avec la tempête, et même les chiens sont restés bredouilles. Encore aujourd’hui on n’avait pas de nouvelles, la neige tombait toujours. Nous on a pu recharger la voiture, et rentrer.

Au pays de Vialatte, on peut donc encore ainsi inventer de si mauvais conte fantastique ? En suivant cette route et ces sapins, dans la nuit, un moment moi aussi je me suis égaré. Vingt mètres de travers, on ne reconnaissait plus rien. Puis une bosse plus dure, j’avais retrouvé la route. Je suis de mer, et non de montagne. Je la crains, même si ces espaces m’hypnotisent, que je les cherche, et que depuis longtemps ils sont liés intimement pour moi à la naissance des livres. Cette crudité, cette menace, à nous de la réapprendre à nos livres. On l’entend si peu, une fois revenu sur l’autoroute.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 19 février 2005
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