dans ma bibliothèque | Beckett, Imagination morte imaginez

tout petit, très vieux, toujours gardé


Là sur l’étagère j’ai tous les Beckett. Ça ne veut pas dire que je les lis tous les jours. Mais s’ils ne sont pas là il manque quelque chose. Je suppose que jamais Minuit ne tuera la poule aux oeufs d’or en les abandonnant aux requins de la Pléiade. Mais ils sont pour moi indissociables de cette forme originale. D’autre part je ne lis pas tout Beckett avec la même intensité. Mes préférés sont d’une période assez restreinte, cette période où Beckett exhumait des textes parfois très brefs, écrits parfois des années plus tôt, et décidait que ce serait son livre. J’aime ainsi Premier amour, je reviens avec prédilection à Comment c’est. Je connais quasi par coeur Compagnie et Mal vu mal dit. Pour ces derniers, Minuit ayant un peu traîné avant de les rendre disponibles en numérique, j’ai des versions PDF qu’il m’est arrivé souvent de partager illégalement avec mes étudiants, je continue d’ailleurs, pour amorcer la pompe. En cours, j’apporte souvent avec moi Le dépeupleur. Mais j’ai une fascination irréfléchie pour ce format un peu plus allongé que les 10x18 (même hauteur, manque juste 5 mm en largeur et ça suffit), et si mince, dont Têtes-Mortes est pour moi l’emblème. Et si mince qu’il soit, enfermant une suite de textes encore plus brefs : Imagination morte imaginez, 1965, 7 pages. Bing, 1966, 6 pages, Sans, 1969, 8 pages. Avec quoi on meuble l’année d’un homme. Et pourtant, pour nous qui n’écrivions pas, il s’en est passé des choses ces 4 années-là. Mais Beckett participe d’une autre temporalité. J’ai un exemplaire quasi neuf de Têtes-Mortes, comme du Dépeupleur. Mais, même ces derniers mois où on fait grandement le vide dans les tas de bouquins, je n’arriverais pas à me débarrasser d’un livre qui a été ma première lecture d’un texte important. Pourtant il est massacré : je lisais fréquemment Bing en public, j’avais souligné au feutre dans le livre l’irruption de l’onomatopée. Le prix (15 francs) figure encore au crayon. L’exemplaire neuf (imprimé en 2007) a remplacé par un code barre, et la page DU MÊME AUTEUR est imprimée en caractères beaucoup plus fin puisqu’il y a beaucoup plus de livres, y compris les posthumes. J’ai tous les Beckett, y compris son Proust, mais je continuerai de lire de façon irraisonnée, en revenant toujours à Mal vu mal dit, Comment c’est, Le dépeupleur et en sachant presque dire par coeur Bong ou Imagination morte imaginez. Jamais supporté trop non plus les livres qui parlent de Beckett. Se dire quelquefois que notre passion pour Beckett tient précisément à ce qu’il nous autorise un rapport irraisonné à l’aporie littéraire. Au ressemble à rien. Au ressemble à rien mais qui dit tout.

 

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 28 mars 2015
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