012 | 47°22’48.64 N – 0°43’35.75 E

pour une utopie du rond-point indéfiniment transformable


 ceci est le 12ème rond-point visité, voir liste des précédents ;
 première visite ? voir la présentation générale du projet, qui inclut aussi des invitations et un journal ;
 état actuel du protocole : vues depuis le rond-point devenu chambre à photographier la ville (10 photos) ; vues du rond-point depuis son pourtour (3 photos) ; vue de l’intérieur du rond-point (3 photos) ; le Google Earth avec le rond-point dans son contexte (1 copie écran) ; vidéo lecture (1,20), vidéo captation neutre (2’10) ; un livre enterré (voir protocole livres enterrés) ;
 complément à ce rond-point : camions de Saint-Pierre des Corps ;
 la chaîne YouTube des performances la littérature se crie dans les ronds-points ;
 en partenariat Pôle des arts urbains Saint-Pierre des Corps (pOlau) & Ciclic

journal de voyage


C’est un pauvre rond-point, on dirait que personne n’en veut. Pourtant un de ceux qui éclusent le plus de trafic tout autour, en un point névralgique de l’agglomération.

Sûr que j’allais y venir (pas trop le choix, si on veut aller jusqu’à 80 au moins). Mais, il y a quelques jours, à Point Haut, en évoquant les projets du Pôle des arts urbains (POLAU), c’est lui qui est venu sur le tapis : il reste si peu de ronds-points qui n’ont pas bénéficié de soins paysagers. Ce n’est pas beau, ici. C’est ce que m’a dit le patron du grill tout neuf, sur le rond-point même, inquiet de me voir photographier ce détail : – Ce n’est pas beau. Avant de demander : – Vous êtes de la mairie ? Après notre discussion, je lui ai donné une carte avec l’adresse de Tiers Livre : un bonjour amical, si vous passez, cher monsieur à qui je n’ai pas osé demander son nom. Mais établi en ce lieu même depuis près de cinquante ans, il m’a dit. Et la grande maison grise qu’il refait a d’abord été un atelier de chaudronnerie inox pour les cuisines collectives et industrie alimentaire, et puis l’ancien grill, et maintenant cet établissement convivial avec sa grande terrasse, plus attrayant que les bouffe-vites ou autres Royal Buffet qui se sont établis sur cette zone très dense, où le Parc des expositions et le nouvel IKEA ont encore multiplié la circulation.

Il passe beaucoup de gens à pied, autour de ce rond-point. L’avenue fait la liaison avec les zones d’habitation plus loin que la zone industrielle, et le grand centre commercial Auchan.

La question c’était donc celle-ci : quoi en faire, d’un tel rond-point, si on voulait quelque chose qui sorte un peu de l’ordinaire ? La proposition du POLAU, c’était l’idée d’un rond-point qui se transformerait en permanence.

Ça paraît facile à dire ? En tout cas, des idées précises furent lancées, assez précises pour que l’agglomération referme provisoirement le dossier. Ça peut attendre, pourvu que ça roule.

C’est pour cela que je soussigné FB propose ce jour une idée précise aussi, et l’argumenterai. Ce que je viens de faire ici-même.

Voici donc le récit de ce voyage, puisque telle est la règle que chacun de ces ronds-points sera ici décrit selon les exactes règles du récit de voyage lointain, et comme les imbéciles qui n’ont rien compris à l’immense Thoreau disent que son Walden n’est pas le grand livre fondateur de la littérature américaine qu’on prétend, parce que sa cabane dans les bois, et la vie qu’il y mena, n’étaient qu’à quelques dizaines de minutes à pied de la ville. Quelle affaire.

Je prétends qu’il s’agit, oui, d’un voyage lointain. Les gens (pas seulement le patron du Charleston’s Grill) ils trouvent ça bizarre, qu’on s’installe là avec un appareil photo. Pourtant que c’est curieux cette maison de Blanche-Neige au milieu de la cour du Point P. Et qu’on avait bigrement bien discuté, il y a 2 ans, quand avec mon ami le vieux père de mon garagiste de Saint-Cyr, on était venu dans cette même rue dans ce garage spécialisé injecteurs (ô nos vieux Diesel). J’étais aussi venu là encore plus autrefois pour une crépine de machine à laver ou autre problème du genre : c’est cela qu’il nous faut interroger, cette connaissance diffuse de la ville qui ne nous est nulle part étrangère, et pourtant comme tout cela aussitôt se dissout dans la généralité commune.

Que regarde-t-on, en passant un rond-point comme celui-ci, sinon les flux adjacents de circulation, et rien de la terre mitée au milieu, à moins qu’un type s’y soit planté pour lire un magnifique et bref texte de Samuel Beckett, qui pour moi-même s’est déployé en cet instant comme un unique rideau de violence, sans point commun avec la lecture que j’en avais eu dans les conditions ordinaires de ma table.

Qui sait, alors qu’il est fréquent d’apercevoir, dominant le centre du rond-point le bâton à bout peint jaune et noir qui sert de repère aux arpenteurs-géomètres, que celui-ci conserve le petit tube creux de plastique enterré qui a dû l’accueillir – c’est donc un rond-point à nombril.

Il y aurait donc une hiérarchie implicite de la ville, sur sa surface égale et indivisible ? Ses portes nobles, vers les autres grandes villes, on les aménage, on y met de la verdure, on repeint les bandes blanches, on soigne les abords. Et puis il y a ce qu’on considère d’avance comme non noble, parce qu’il s’agit des lieux du travail, ici ces petites entreprises qui font pourtant encore tissu vivant, et comme on devrait plutôt les en remercier. Au sud, le club de foot avec un gros ballon sur la façade, et ses terrains d’entraînement, en vis-à-vis de l’arrière-fond du Parc des Expositions, qui vit par intermittence, salon de la voiture, salon de la caravane, salon du vin, salon du mariage suivi ou précédé du salon de l’érotisme (industriel) et puis de la Foire de Tours où mon voisin Félix vient tenir son banc d’huîtres.

Sur cette terre mitée de l’empreinte circulaire, avec des traces de voiture qui laissent supposer d’étranges gymkhana nocturnes, c’est cette hiérarchie dont on peut appeler la renverse.

Et voilà comment s’est formée ma proposition précise sur l’aménagement d’un rond-point constamment changeant (demain).

éléments contingents et factuels


Ce qui était nouveau pour moi, dans ce rond-point, c’est qu’on ne peut y disparaître comme dans les précédents. On reste littéralement à la vue, piétons et riverains compris. Mais j’ai assez de gestes et de choses à faire pour n’en être pas gêné. Je n’exhibe rien, je travaille. Seulement je prétends ceci : c’est là où en est la littérature, cette surdité générale de la ville. Je ne crie pas dans le vide, je rends concret le vide qui entoure ce qui pourtant donne sens et abîme, comme le fait précisément ce texte de Beckett, avec chiens, spirale et ciels – ou son mot solitude. Sur le rond-point, un panneau renversé, un paquet de cigarettes jeté, et un enjoliveur plastique Opel. J’ai juste enterré le livre sous l’enjoliveur (pas le Beckett, je précise – puisqu’on me demande souvent si c’est le texte lu que j’abandonne, dans ce projet bien précis que chaque rond-point de l’agglomération enfermera en lui un livre, la ville ne les connaissant plus) – je viendrai régulièrement voir s’il y est encore.

PS : on trouvera ici pourquoi ce rond-point est appelé à Saint-Pierre des Corps le « rond-point Johnny Hallyday ».

ce que le rond-point voit de la ville


 

le rond-point vu depuis ce qui l’entoure


 

intérieur du rond-point, Google Earth et vidéo


 

 

livre lu

responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 16 octobre 2014
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