Chevaigné des objets (et 40 mercis)

quand toute une ville s’approprie un livre (plus l’auteur avec)


 

Il y a encore 2 ans, Chevaigné pour moi c’était une indication sur un panneau juste avant Rennes, avant Betton, quand on revenait du Mont Saint-Michel ou de Saint-Malo, avant de retrouver la rocade et l’autoroute.

Et puis on s’est retrouvé un jour avec ceux de Chevaigné au buffet de la gare de Tours, un samedi midi, et la surprise d’avoir devant moi deux élus de l’équipe d’alors (Jean-Yves Leray et Valérie Raccapé, conversation dense et ouverte – presque une définition à construire d’un urbanisme humaniste comme on dit humanisme numérique ?), qui me racontaient le festival tenu une première édition autour de René de Obaldia. Alors le voyage a commencé, relayé par Philippe Échard et Olivier Delatouche – puisque désormais sous forme associative – pour aboutir à ces trois jours des Envolées de l’Illet.

Je ne peux pas dire que je n’avais pas peur : un livre comme mon Autobiographie des objets, une fois paru, appartient à ses lecteurs. Qu’on se l’approprie est déjà un bel honneur. Qu’on s’en serve de support pour des ateliers d’écriture, de la maternelle à l’école d’ingénieur, en passant par le collège de Combourg et bien sûr par la bibliothèque de Chevaigné, mon rôle je l’imagine de suite comme celui qui vient proposer les ateliers, et on ne me le demandait pas.

À l’inverse, ce qui me fichait un peu la trouille, c’était de se voir rendre (enfin, mon boulot) un hommage portant sur l’ensemble. Ainsi, dans cette étonnante première soirée dont moi seul n’avais pas eu le conducteur, et pas d’autre instruction que la proposition de lire 3 textes d’une durée maximum de 5 minutes (j’ai choisi Binet, Ponge, et L’espace antérieur de Jean-Loup Trassard qui habite tout près même si ce n’est pas cela qui motivait le choix), j’entendais des extraits lus de mes propres bouquins parmi d’autres extraits de Jean Rolin ou Echenoz, et la surprise de voir le frère d’armes Jacques Josse présent pour lire un extrait de Prison.

Mais, dès cette première soirée, comme un genre de décalage systématique avec les usages plantes vertes carafes d’eau tables rondes de la tradition littéraire (morte) : sur scène trois racleurs émérites de guitare, dont Roger Conan et Pascal Perrée du groupe Jaywalkers, rejoints par Pierre Ketels (qui nous a servi entre autres magnifique Gimme Shelter). Demande à eux faite par Philippe Echard, chef d’orchestre de ces trois jours, de ponctuer chaque lecture par un début de ces chansons de Dylan, Led Zep, Stones qu’on a tous en tête. Philippe était-il conscient de la difficulté de l’exercice ? Il ébaucherait un vague sourire sans répondre. Mais chapeau, parce que chaque fois, une des guitares se chargeant de la voix chantée, la Guild acoustique de Conan posant la grammaire, c’était une vraie re-création, comme on réentend ces musiques de loin, et bien sûr Jumping Jack Flash débarquant après lecture du début de ma bio Stones.

Ainsi donc, sur cette page aux 40 mercis, je mets en haut le point final de ces 3 jours : le concert en plein air, dans les lumières de fin d’après-midi, des 5 Jaywalkers, et c’est eux qu’on retrouve en tête des 40 images, qui ensuite viennent de façon strictement chronologique.

Parce que c’était aussi cela, la difficulté : il me fallait me cantonner souvent à être spectateur. Olivier Delatouche, pour la mise en scène de trois séquences de Daewoo, avec contrepoint intérieur du Retournement de Frédéric Lordon avec clown blanc à la Karl Valentin, ne m’avait en rien sollicité pour montage ni mise en scène. Pas plus qu’Eric Houguet pour sa déconstruction, dans la salle du patronage toutes ouvertures démontées, remplies des objets apportés par les habitants eux-mêmes, dans une fabuleuse brocante imaginaire, n’avait échangé sur la proposition, la forme, le contenu.

Ainsi, dans les photos manquent aussi bien sûr les moments où – quand même – c’était à moi de faire le travail : une heure en solo dans la très belle Péniche Spectacle venue s’amarrer sur le canal face à la scierie de Chevaigné, une rencontre qui serait un voyage imprévu dans les textes écrits avec Yasmina Delatouche par les 3ème de Combourg, avec ces merveilles d’emboîtements et secrets, ou la rencontre du dimanche matin sur la mutation numérique de l’écrit, le plaisir d’y retrouver Christian Ryo de Livre et Lecture Bretagne pour une synthèse droite et étonnante, et l’équipe au complet de la bibliothèque de l’INSA, l’école d’ingénieur de Rennes, sur leur utilisation des ressources numériques.

Manque ce fil rouge reliant les différents lieux de spectacle, lecture, expo ou rencontre, avec les textes des ateliers accrochés tout au long (mise en page et préparation Sinje Starck), et les photos que j’ai faites des gens arrêtés un instant pour s’y plonger, si souvent, si souvent.

Manque aussi la chambre où j’ai dormi 2 nuits dans cet éco-hameau avec mise en commun des utilités et ressources, ou – en place de pelouse – du potager dans sa splendeur d’automne. Manque l’accueil dans le bistrot ouvrier entre église et mairie, et sa terrasse ensoleillée, Aux Petits Oignons (nous le fûmes).

Dans la liste des étonnements :

 une ville encore marquée par son contexte rural, au bord d’une métropole gigantesque, a-t-elle les moyens de développer une politique culturelle de proximité ? Le défi relevé ici à partir de micros-équipements soignés : la bibliothèque, l’école de musique (qui sera mise à contribution), et surtout un tissu associatif multiple. Mais une implication directe de l’équipe municipale (merci particulier au maire Sandrine Vincent de sa permanente présence et énergie plus confiance) – on est tellement déshabitué de cela, qui pourrait pourtant sembler élémentaire. J’ajoute qu’ici les rues de lotissements neufs portent des noms de film (je dormais Rue Jour de fête à côté de la Rue des Enfants du Paradis), et que la salle du conseil municipal, avec Marianne de bois commandée à un sculpteur du bourg et photo présidentielle au-dessus de l’armoire (« À cause du précédent », vous dit-on dans un demi-sourire) avait été confiée aux Envolées et totalement accaparée, objets encore, par les robots de Philippe Gall, voir site du collectif Les enfants du Brok ou celui du collectif Robotig.

 des moments vraiment troublants, ainsi, dans la performance théâtre d’Eric Houguet et son Théâtre des opérations avec Sophie Lequenne et Jérémy Colas, ce rebond de la fin où ils reconstituaient gestuelle et oralité de ce moment où les habitants leur avaient confié ces objets et l’histoire de ces objets. Merci aux deux acteurs et à l’équipe d’Eric.

 troublant et beau, aussi, la vidéo conclusive de la soirée d’ouverture, Jérôme Pellerin sous son nom d’artiste Lee J Miller, mêlant le questionnement de la ville (à partir des Symptômes de ruine de Baudelaire sur images des cités rennaises et les parkings de l’usine Citroën de La Janais, que j’avais visitée avec mes parents lors de la sortie de la GS en 1966, un poème sur eau et écluses – à partir d’une phrase issue de mes propres écluses, jouée et dansée sur le canal de Chevaigné –, et une réflexion déconstruisant d’autres séquences de mots sur l’idée du chant électrique), dont j’espère bien qu’au moins la partie canal et écluse continuera son chemin vers un film autonome – voir présentation sur page Facebook du festival ;

 manque le théâtre d’impro du Théâtre de la Mite, histoires jouées en pleine rue à partir des objets proposés par les enfants présents, manque le spectacle Papiers (et les objets qu’en remportaient les spectateurs) proposés par Anne Pia. Manque le ballet incessant et efficace des volontaires pour toute cette micro-logistique pour que tout fonctionne sans faille, manque la table de livres proposée par GarganMots.

Et pour finir, un hommage personnel aux enseignants, maternelle, primaire, collège qui ont permis dans la bibliothèque cette installation à hauteur de main des écrivains de leur public, tout simple mais dans une lumière chaleureuse qui transformait le rapport aux mots.

Boulot de fond, boulot essentiel. Et ça fait du bien.

FB

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 2 octobre 2014
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