outils du roman | 3, l’action est une brève folie

découper un timbre-poste de réel et le développer en un paragraphe d’action brute – ou bien : toute action est un paragraphe



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« L’action est une brève folie. »

Quelle surprise ç’avait été de retrouver cette phrase de Paul Valéry dans le Creative writing no-guide de Malt Olbren.

Du coup je voulais vous inviter à prendre au sérieux sa proposition. Dans sa propre méthode, il s’agit seulement d’un paragraphe de Dos Passos, scène de rue banale prise au Manhattan Transfer.

Et ma propre contribution sera l’axiome suivant : « toute action est un paragraphe ». On va écrire un de ces paragraphes, mais on va s’y reprendre en quatre fois pour l’écrire.

Pour se retrouver nous dans une phase d’écriture commune, avec confrontation et partage, et cette magie spécifique à l’atelier d’écriture que l’imaginaire de tous les possibles littéraires liés à notre propre texte se fabrique par relier à l’écoute des textes des autres, je vous propose moins le thème (un paragraphe compact centré sur une action précise), que d’en respecter justement la méthode, c’est-à-dire qu’on va penser globalement le paragraphe, mais l’écrire couche par couche qui vont s’y superposer au lieu de le concevoir par écriture linéaire.

Ceci dit, on peut tricher, avoir toujours en tête la magnifique méthode d’écriture d’Edgar Poe pour son Corbeau, que jamais personne n’a considéré comme système de contrainte, mais bien comme construction rétrospective, une fois le poème sous les yeux.

En lien donc le plus étroit possible avec la proposition Malt Olbren sur cette scène de rue à l’ouverture de Manhattan Transfer, voici quelle serait la suite précise, tout repose sur le séquençage précis et non-linéaire de quatre écritures successives :

 

1, du choix et de la méthode

Et là personne ne peut vous aider, choisir une scène d’action. Donc déterminer : lieu public/lieu privé, nombre de personnages (action passant avant dialogue), souvenir réel/scène reconstituée (l’actualité n’en manque pas) ; rapport de cette scène à votre projet d’écriture pris globalement.

On procède par couches d’écriture successives ; ça peut même être réellement le cas : un fichier texte avec 4 interventions successives, un fichier texte dans lequel on va recopier quatre fois à la suite l’une de l’autre les différentes versions de ce même paragraphe (et vous pouvez très bien envoyer par mail ces 4 versions, c’est la progression qu’on mettra ici en ligne) ; idem si vous écrivez à la main : une première rédaction dans laquelle vous laissez largement des coupes, des blancs, presque une mise en place graphique, puis chacune des couches va venir s’inscrire dans les blancs, à moins que vous ne préfériez recopier quatre fois (appelons ça la « stratégie Flaubert » !).

 

2, première couche, avec blancs et trous

L’important, c’est la posture mentale. Votre écart intérieur. Vous vous concentrez mentalement sur la scène d’action comme espace et durée. Vous ne vous immergez pas dans la rédaction. En considérant votre écran (ou votre cahier, ou quelque support que ce soit qui ait vos faveurs) comme surface, vous répartissez sur cette surface, également ou pas (choses écrites en petit, choses écrites en gros, zooms en une phrase, indication en un seul mot), tous les éléments signifiants qui vous restent de cette scène, froidement, descriptivement, mais de façon la plus exhaustive possible (début, fin, inflexions, modifications et ruptures, éléments visuels, éléments du décor passif, personnages, détails singuliers).

Le fait d’écrire sur une surface et non linéairement doit vous permettre de laisser la scène venir à la surface comme une photographie autrefois dans le révélateur : la précision gagne progressivement, et pour chaque nouvel élément que vous ajoutez, vous savez quelle va être sa place relative dans la surface globale. On peut aussi écrire brièvement le juste avant et le juste après (je pense à un des premiers travaux de Bruno Serralongue, lors d’un stage pour Nice Matin, et qui se rendait sur les lieux-mêmes de chaque fait divers, mais 24h plus tard...).

 

3, deuxième et troisième couches

La deuxième couche est la plus difficile et la plus décisive. On a procédé à une inscription presque objective. On a noté à plat toute une série d’éléments visuels, spatiaux et temporels. C’est le principe du narrateur omniscient, donc absent.

Ce que nous demande Malt Olbren, à partir de ce passage du Manhattan Transfer, c’est d’y insérer un point de vue. Qui parle ? Et pourquoi est-il là ? Et que voit-il ? Est-ce que de disposer d’un personnage à la fois spectateur et acteur change la narration ?

Ce qui se passe donc dans la deuxième couche, c’est de monter votre personnage dans le cadre installé. Où est-il, que fait-il, que voit-il. Intervient-il ? Est-ce que les protagonistes de la scène en sont affectés ? Est-ce qu’ils s’adressent à lui ? (dans Manhattan Transfer, de spectateur à spectateur...).

Et ce que je nomme troisième couche n’en est pas réellement une : est-ce que, ce personnage une fois immergé dans la scène, se révèlent des éléments absents de la première couche ? Des détails, un truc tombé sur le bitume, la couleur d’un ciel, un bruit à l’arrière-fond, les poils sur la main d’un personnage.

 

4, quatrième et dernière couche

Et on n’a plus qu’à finir. C’est juste trois phrases, quatre phrases. Si possible en italiques. Si possible réparties sur l’ensemble de la surface, puisqu’on travaille toujours par surface.

On s’accroche à notre narrateur, on lui colle un micro dans le fond de la tête, et on capte ce qu’il se dit à lui-même dans sa tête. Écho réflexif. Distorsion. Souvenir ou décalage.

Mais insistons : l’exercice sera complet, et la scène d’action devenue parfaitement autonome, si et seulement si on est arrivé jusqu’ici. Ce n’est pas beaucoup, c’est précisément dans les proportions et l’harmonie que va surgir la musique, mais cette phase de retour sur soi est nécessaire. Et le pari de Malt Olbren est ici : si on l’écrit à la fin, on ne va pas du dedans vers le dehors, on écrit ce qui du dedans est modifié ou affecté ou bousculé par le dehors.

 

5, comment s’y prendre

Mais, précisément, on est déjà pris.

Tout le temps de la lecture, vous avez brassé de vagues idées, qui pouvaient être des sources potentielles. Quelles sont-elles ? Y compris si, précisément, elles vous semblent une source insuffisante pour le démarrage.

Et si on procédait par simulation ? Prendre un fait divers, même le plus atroce qui se baladait dans les journaux et sur le web ces 2 jours. Sans rien écrire, mentalement, examiner comment on s’y prendrait pour écrire ce fait divers avec la technique en quatre temps décrite ci-dessus. Et que ça peut donner un bouquin aussi génial que le In a cold blood de Truman Capote.

Mais si vous avez fait mentalement cet exercice pour une scène prise à l’écume sociale, est-ce que ça ne vous met pas plus fort et plus près pour revenir à ces scènes vaguement ébauchées comme sources potentielles ?

Il suffit de si peu. Toute la ville est à vous.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 20 juin 2014
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